jeudi 30 avril 2015

522 - LIVRE-AVRIL - 27 (Provisoire)

Cette section 27 est sans doute le dernier épisode du livre-avril. 





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ce matin je me suis assis parmi les instants qui se succèdent et portent tous un nom différent que nous ignorons. depuis la margelle j’ai regardé le territoire harmonieux, jonché de limites et d’espoirs. un peu d’oiseau passe dans l’air, quelques signes sans importance. tu interviens et dans tes bras ouverts c’est une inquiétude, voire une terreur. cela pourrait prendre la forme d’une question : cela pourrait subsister dans l’empan de nos mains. quand reste sous le rêve une fosse commune vide encore. mais l’espace a délaissé la mort de chacun au profit d’une activité que nous peinons encore à nommer. quoi qu’il en soit, je me tiens sur le front d’un songe, dans l’expérience d’une déportation incessante. et mon identité brisée, mon identité à claire-voie laisse passer la lumière du jour. 



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tu construis ce pont qui est un pli où se condensent les thèmes qui te définissent. et dès lors les fins sont comme des moyens en vue de la présence : cette énigme d’une pulsion arraisonnée par un mot et puis l’autre. je ne sais pas si aimer, travailler, créer, prendront ce jour les formes adéquates à une transmission digne de ce nom. je gravis les épitaphes, je gravis les monticules que personne encore n’a intitulés. la cause est simple. un mouvement se fait jour. il a pour origine chaque instant de la durée. la frontière a enfin délaissé la mélancolie du territoire. elle est ce corps joyeux qui participe.



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avril n’est pas un temps

il est cette contraction
du précipice :
quand la profondeur n’est que
     surface :
où forer reste longer le sens



















LIVRE-AVRIL - 27 - FIN? - AVRIL 2015

dimanche 26 avril 2015

521 - LIVRE-AVRIL - 26 (Provisoire)







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Le 8 mai 1840, aux alentours de dix heures du matin, alors qu’il s’apprêtait à quitter son domicile de Merseburg pour se rendre aux chevets des malades, Basedow reçut une missive en provenance de Dresde. On lui apprenait la mort de son vieil ami Caspar David Friedrich. Bien que débordé par les multiples responsabilités qui lui incombaient, Basedow n’hésita pas à entreprendre les deux jours de voyage que nécessitaient sa venue aux funérailles du peintre fameux qui, hélas, était passé de mode depuis plusieurs années. 
A dire vrai, Basedow n’avait pas de sensibilité pour la peinture en général, et les paysages sombres, tragiques et spirituels de son ami le laissaient indifférent. Son amitié avec Friedrich tenait plutôt à leur goût commun pour la marche en montagne. Ce fut d’ailleurs au cours d’une excursion dans le Riesengebirge qu’ils firent connaissance. Si, à la fin de sa vie, Friedrich, souffrant d’un trouble de la persécution, s’était éloigné de Basedow, ce dernier gardait pour lui une profonde affection. Leurs courses silencieuses sur les flancs du Schneekoppe avaient été autant d’occasions d’éprouver un ravissement rare, et pour le moins précieux, dans sa vie urbaine et laborieuse vouée à la cause des malades. 
Le 10 mai 1840, Friedrich fut inhumé dans le cimetière Trinitatis. Etaient présents les rares membres de sa famille, quelques amis restés fidèles malgré la maladie et la faillite, et puis, accompagnée de sa fille Antonia, Beate, l’ancienne employée de maison de Friedrich, qui, pour cause de maladie, n’avait pu s’acquitter de sa tâche jusqu’au bout.
Les symptômes dont souffrait Beate étaient tous connus en tant que tels : hypernervosisme, tachycardie, asthénie, sueurs, thermophobie et exophtalmie (ce qui signifie que les yeux de Beate sortaient très fortement de leurs orbites, lui prêtant un regard halluciné des plus inquiétants). Cependant aucun médecin n’avait jusqu’alors été à même d’établir un diagnostic fiable qui prît en compte la complexité de son affection.
Après les funérailles, Basedow approcha Beate sans délais. Il sa présenta et fit état de ses multiples connaissances concernant les maux auxquels elle était sujette. Il lui proposa ensuite de se rendre à Merseburg dans les semaines à venir pour se soumettre à une série d’examens visant à démontrer que la cause de son exophtalmie, et de tous les autres symptômes qu’elle subissait, était un dysfonctionnement de la thyroïde. 
Beate, d’abord réticente, accepta la proposition dès lors que Basedow précisa qu’elle serait rémunérée le temps nécessaire aux recherches et que chacun de ses voyages serait défrayé. Elle exigea de plus que sa fille l’accompagne et qu’elle soit aussi défrayée, ce à quoi le médecin consentit. 
Beate s’avéra être un sujet particulièrement docile. Elle se prêta sans rechigner aux tests pourtant éprouvants dans son état et répondit consciencieusement à toutes les questions qu’on lui posa. Elle montra également une inclination peu commune pour la confidence et, bientôt, Basedow eut connaissance de bien des traits de la vie intime de son ami, parfois scabreux, dont il aurait souhaité continuer à rester ignorant il va sans dire. 
Lundi 14 septembre 1840, devant ses confrères de l’Université Martin-Luther de Halle-Wittenberg, Basedow décrivit brillamment une hyperfonction de la thyroïde, maladie qui par la suite porterait son nom. Quand il évoqua le cas de Beate, il pensa, le temps d’un bref instant, à la passion excessive qu’éprouvait son ami Friedrich pour l’apfelstruden de son employée, ce qui provoqua un léger sourire incongru sur son visage concentré. Mais personne ne s’en avisa.



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le texte amoindrit mon corps, si faible d’ailleurs que j’en suis malade. et, en toute logique, c’est la thyroïde qui dysfonctionne. y a-t-il frontière plus implacable qu’une porte, qu’une fenêtre ? je vois à toute heure du jour et de la nuit des érythréens, des soudanais, des afghans, des syriens et tant d’autres frapper à ma thyroïde. les symptômes sont nombreux comme autant d’ares où territorialiser la frontière : tachycardie, hypernervo-sisme, maux de tête, myopathie, nausée, asthénie…

les jours sont dédiés à la fièvre migratoire. je sue dans la peau d’une frontière. yeux, joues, lèvres, tremblent sagement sous la fontaine d’Ulysse.

mon cœur a pris une voie que je ne saurais dire. il mue de jour en jour. chaque pouls en voit la peau s’effilocher. ces lambeaux qui glissent sur les yeux saturés de chants des migrants est un spectacle que je ne saurais qualifier.



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             je sens ma mort      sur les doigts
          sûre lumière      buée lourde      havre 
          livre _ avril       : écoute      – 
          le temps s’en va       :      _ un
                   liseré s’ouvre au bord isocèle
                  : _



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c’est à partir de ce qui nous ravage qu’une jachère peut advenir. entre deux territoires assignés, il y a parfois la place suffisante pour que se déploie un espace vacant dédié à l’épaisseur dans sa plus simple expression. on y trouve un remuement perpétuel, infime et complexe. des formes indéfinies, un risque sans personne, du devenir ôté de toute peau. un terrain à soi, tellement à soi qu’il nous reste étranger. la jachère est ce piétinement du temps rendu à sa paresse la plus fertile : une pensée qui harasse l’inspiration : un visage singulier contre lequel il est d’usage que l’on amasse de quoi le détruire, le maudire et l’oublier. 



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 ,         , 
   ;           .



après le silence, quand subsiste seule l’identification au reste, cette mélancolie, il s’avère qu’un seuil a volé en éclats, en débris de lieux, en miettes de paroles, en fragments de bornes. je me retourne — un désarroi propre à l’espace ainsi désorienté —, et ce que j’observe, ce qui me tombe des mains, c’est l’élan amnésique d’un corps enfin édifié dans sa verticale mouvante. aussi je constate combien le lieu glisse en son entière indulgence. et j’opère cette conversion propre et nécessaire à nos jours traumatiques : 
du temps je me rejoins vers l’espace.



















Livre-avril - 26 - avril 2015

mercredi 22 avril 2015

520 - LIVRE-AVRIL - 25 (Provisoire)






          25





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‘            « 




il y a dans les couleurs ce je ne sais quoi de cérébral, déporté jusque dans la sensation. il est hardi sans doute d’affirmer que les couleurs pensent. mais il ne tient qu’à nous qu’il nous vienne à l’idée de nous déprendre d’un esprit par trop systématique. il m’arrive de considérer parfois le manège de l’herbe levée dans le cri horizontalisée de la lumière en ses dernières heures, et, disons, cela saute aux yeux tout de même que les brins réfléchissent, tout auréolés des derniers feux du jour, ils construisent de la cérébralité verte et or.




(      _
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le diagnostic est tombé mardi 22 décembre : basedow. 
maladie auto immune. 
mes défenses immunitaires ont pris le parti de considérer ma thyroïde comme un organe étranger. 
ma thyroïde est à leurs yeux un élément indésirable qu’il faut éradiquer.
elles s’y emploient avec un zèle incontestable.
mon système immunitaire est schizophrénique. 

il y aurait un organe qui n’est pas (de) moi dans ma chair. 
des bouts de dehors auraient migré dedans. 
mais sur quels esquifs ? 
mais sur quelle mer ? 
et pour quel antique chant ? 

mon corps, 
cette épaisseur laborieuse dont je suis, que je suis, d’où je suis, avec qui je deviens jour après jour à l’arrière du nom que d’autres m’ont donné, 
mon corps est scindé. 

pour ma part, je pense que ma thyroïde est ce texte que je suis en train d’écrire au bas de ma gorge — ce que confirment les échographies —, sur les surfaces de ce qui ressemble à une porte, à une fenêtre. 
c’est sans doute cela que mon système immunitaire de type FRONTEX ne tolère pas : une conversion de la chair à la lettre.
heureusement, la mutité de ces paragraphes ne se laisse pas surprendre, ce qui met en péril les stratégies insidieuses des autorités en charge de la surveillance des littoraux intérieurs. 
je suis donc au cœur d’une frontière, vaste comme le temps ; l’enjeu n’est pas de séparer un territoire d’un autre, mais d’être une séparation : dans ce lieu où les contraires coexistent dans une grande instabilité : dans ce lieu où l’infidélité est le principe même de la durée. 




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(       -  
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          main tendue       : source morcelée      – 
       parmi les ocelles : des lueurs      suintent
       un soir lent je ferai la route       :




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           +




une clarté a raison. elle dresse le portrait, exact, inverse, de la nuée mobile qui trouve à se loger dans les dunes à ton nom. c’est une limite sur laquelle on ne bute pas. c’est une limite qui a ces qualités discrètes et sensitives propres à la peau. j’aurais aimé trouver, après que la saison a passé, un peu de ce limpide et de l’intime propres à l’eau — ce hyalin soupçon à l’encontre du ventre. je marche de toute façon. 
les chemins s’affrontent : c’est j/e 















LIVRE-AVRIL - 25 - avril 2015










dimanche 12 avril 2015

519 - LIVRE-AVRIL - 24 (Provisoire)






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          il disait,
considérons l’agencement parfaitement équilibré de cette toile de Poussin, de ce Paysage avec Polyphème, il nous vient immédiatement à l’esprit que le mot anencéphalie est l’expression, heureusement abréviative, d’une idée complexe, équivalente aux idées simples qu’exprimeraient les mots spina bifida complet, acrânie, absence du cerveau, amyélie. combien de fois faudra-t-il répéter qu’une telle abondance en harmonie, ô combien suave, ô combien euphorique, a trait à la plus terrible cause existentielle ? et si l’on dit à l’ordinaire qu’une frontière pèse dans la nuit à la manière d’un Christ qu’on dépose avec force de larmes, c’est bien parce qu’il n’y a qu’en ces peintures-là, éminemment morbides et mesurées, qu’on touche à la véritable essence. regardez, non mais regardez donc le littoral à droite du tableau ! comme il surgit pour nous annoncer !
(il s’assit un instant, essoufflé, misérable. sur ses genoux tremblait une reproduction écornée du Paysage avec Polyphème. il ferma les yeux que cernait un bistre luisant. il marmonna quelque chose que je ne compris pas. la peau parcheminée de son visage osseux était prête de se déchirer. derrière lui la bibliothèque immense semblait sur le point de le submerger. je ne savais pas s’il avait encore sa raison. je ne comprenais plus ses propos. j’assistais à l’explosion d’un astre. je me laissais instruire par cette apocalypse de son esprit.)
          il disait,
vous voyez, Geoffroy Saint-Hilaire, dans ses Solutions des objections, il dit que les auteurs qui ne croient pas à la possibilité d’une classification naturelle tératologique, ont surtout basé leurs arguments sur la prétendue irrégularité des caractères de la monstruosité. il ajoute qu’il est facile de voir que cette objection repose sur une opinion erronée, et mérite à peine de nous arrêter, du moins en ce qui concerne les genres. ces mots-là, voyez-vous, ce sont les couleurs, ce sont les rythmes somptueux du paysage avec Polyphème. et l’inquiétude de la jeune femme au premier plan, c’est précisément cette phrase-ci : sous un point de vue général, tous les monstres d’un même groupe pourront être ramenés par la pensée à un seul et même être, et embrassés sous un nom commun. vous entendez : sous un nom commun ! et il ajoute : puis, sous un point de vue plus spécial, il pourra être utile de les distinguer les uns des autres, et de leur assigner un nom particulier. ah ! voilà le génie ! voilà l’expression de la maladie occidentale ! mé-lan-co-lie ! voilà la frontière évacuée dans le texte même ! la femme est anxieuse parce qu’elle sait que la maladie songe en elle, déjà, malgré sa jeunesse, la maladie travaille au secret : et cette maladie n’a pas de nom, elle n’en aura jamais ! elle le sent, quelque chose se passe dans son corps, de sensible et d’indicible. c’est à cela que tient la frontière ! voilà l’avril ! voilà la paresse du géant Polyphème affalé sur la montagne ! quoi qu’en dise Saint-Hilaire !



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          l’hyperthyroïdie causée par basedow 
          est une médiation, un seuil 
          — surgisse de la vérité 

          d’ailleurs 
          si l’on s’intéresse à l’étymologie du terme thyroïde :
          θ υ ρ ο ε ι δ η ́ς « semblable à une porte, à une fenêtre »

          il reste à ouvrir l’organe (d’avril oui) : à le traverser


depuis hier après-midi, douleurs intenses aux articulations : genou droit, aine droite, épaule droite et deux poignets. bosse molle hier soir sur le poignet gauche, s’est atténuée ce matin. douleur intense épaule droite. attente deux heures trente chez le médecin. 
analyses, salle II, le déjeuner de Monet au mur, on se parle avec la technicienne qui fait la prise de sang, on commence à se connaître, je lui demande si c’est une ironie ce déjeuner au mur alors qu’il faut venir à jeun se faire piquer, je ne lui demande pas. 
la douleur s’est fixée sur l’épaule droite. atroce. peux plus bouger. la douleur articulaire rend mon corps à son état désiré : cette fixité cadavérique. ça résonne avec mon besoin morbide d’échapper à la vie, au mouvement : ce contre quoi je combats habituellement. 
résultats analyse à dix-huit heures : inflammation importante, virale probablement. n’arrive plus à fermer la main droite. la maladie est un visage du réel, impénétrable en soi, la maladie est une exacerbation de l’impénétrable à l’œuvre dans le corps, la maladie est à la vie ce que la lettre est la langue, 
une frontière en soi, où vibre un réel
une opportunité en somme










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mes poumons changent. c’est une douleur qui ensoleille dans mon thorax. comme une énergie acérée si proche de la fin de l’histoire. entre un instant et l’autre, dans ce pays où le temps diffère, le souffle ne réside plus, du moins pas avec l’évidence du cri. les bronches ont fui vers de longues jetées qui s’avancent dans l’incessant. et je me trouve sans force à l’endroit d’un thorax en chantier : 
saison d’avril. 



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Carl von Basedow pria son père de financer un voyage à Paris au motif qu’il souhaitait là-bas approfondir ses connaissances médicales. il avait pour projet de postuler en tant qu’interne à l’hôpital de la Charité où enseignait le fameux baron Guillaume Dupuytren. Après avoir éructé d’une forte façon, son père émit trois petites flatulences et s’accouda sur son bureau ; il regarda Carl droit dans les yeux, se contenta de hocher du chef en signe d’acquiescement. 
Basedow resta un an et demi à Paris, de janvier 1821 à juin 1822. La rumeur veut qu’au jour du 9 avril 1821 il ait assisté, avec Alfred Giraudin, interne comme lui à la Charité, à la délivrance de Caroline Dufaÿs. Ce serait Dupuytren lui-même, connaissance du père, qui aurait demandé à ses étudiants de se rendre sur place, au 13 rue Hautefeuille, afin de surveiller le bon déroulement de la naissance ; ils avaient pour consigne de l’interpeller au plus vite en cas de complications. Ce ne fut pas nécessaire. L’enfant, un garçon, vint au monde sans difficultés excessives. La mère, quoique fatiguée, fut rapidement hors de danger. Basedow et Giraudin quittèrent donc les lieux sans plus tarder. Ce fut Monsieur lui-même, Joseph-François Baudelaire, qui les raccompagna à la porte et les remercia avec la plus vive émotion.
On dit qu’une fois dans la rue, Basedow aurait murmuré à son compagnon cette phrase de Schiller : Das Licht des Genies bekam weniger Fett als das Licht des Lebens. Ce qui signifie : La lampe du génie brûle plus vite que la lampe de la vie. Giraudin, devenu vieil homme, aurait confié cela à Frédéric Armbruster, biographe zélé de Basedow. Mais peu d’universitaires accréditent encore avec certitude une telle remarque pour la simple raison que rien n’indique que Basedow se soit intéressé de près ou de loin à l’art de Schiller. 



















livre-avril - 24 - avril 2015

samedi 11 avril 2015

518 - donner de la voix - "Aucune réponse pertinente" - 6










Il s'agit d'improviser une parole, au risque du silence, du non-sens et du ratage. Parler dehors dans un dictaphone, contre, tout contre ce qui est. Sans préparation: un saut dans le vide. Il s'agit qu'il se passe quelque chose qui n'a aucune importance. Qu'il se passe quelque chose. 

La qualité des enregistrements est très variable - archives lointaines déjà, perturbées dès la source.
  
J'essaie de mesurer la durée de mon intervention entre 1mn30 et 2mn30.
















jeudi 9 avril 2015

517 - donner de la voix - "Comme un accent circonflexe" - 5










Il s'agit d'improviser une parole, au risque du silence, du non-sens et du ratage. Parler dehors dans un dictaphone, contre, tout contre ce qui est. Sans préparation: un saut dans le vide. Il s'agit qu'il se passe quelque chose qui n'a aucune importance. Qu'il se passe quelque chose. 

La qualité des enregistrements est très variable - archives lointaines déjà, perturbées dès la source.
  
J'essaie de mesurer la durée de mon intervention entre 1mn30 et 2mn30.















lundi 6 avril 2015

516 - LIVRE-AVRIL - 23 (provisoire)







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                —



je ne cherche plus à rendre le son de ce qui me précède. il y a peut-être dans cette voix une espérance qui abîme trop pour que je persévère. c’est que je ne survis qu’à hauteur d’un oubli qui ne serait pas sans visage. et l’espérance a pour qualité, tout le monde en conviendrait, de loger son miel dans les empreintes d’un amour passé ou promis. je ne veux plus me détourner de cette coquille vide, si dérisoire, si intense, qui m’est apparue au cours de la parole allongée. sans doute cette requête manque de raison. on pourrait alléguer que peu de motifs occupent toute une vie. c’est juste — pour autant je ne crois pas qu’une coquille vide soit un motif. ce qu’elle est, à vrai dire, je ne sais. mais sa présence m’importe. 



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une insomnie m’a jeté dans le souffle. c’est une chance périlleuse. je n’apprécie guère voir ma conscience égarée dans le vent de la nuit. c’est pourtant une errance à laquelle il faut consentir. sinon à quoi bon avancer mes joues nues dans l’assaut de la mort ? je reste évanescent, proche d’une frontière pour le territoire de laquelle il y aurait eu beaucoup de guerres. j’entends encore les cris aveugles des femmes qu’on viole et j’entends les chants des soldats aveugles. il y a peu d’humanité en ce domaine. seules les feuilles des bouleaux au passage des brises manifestent encore quelque chose qui soit de la parole et de la main posée sur l’épaule. je sais bien qu’à terme resteront mon ennui et ma perplexité. je ne peux cependant me défaire de cette espérance qu’un jour ma présence en ce lieu aura un sens. alors je consens encore une fois à cette maladie sereine et radieuse qui me dévaste et m’épuise.

(je regarde mes mains trembler dans la fièvre, et parfois c’est un rossignol qui lance son trille à l’unisson de ma souffrance.)

et je me souviens
du cri qui accompagna sa venue
et je me souviens
des bras bienveillants, empreints d’amour et de mort
et je me souviens
                du froid dans mon dos



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                .



c’est cela qui vient :

la vérité nue
partielle et forante



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            ]
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si mes organes sont des textes, la réciproque n’est pas valable : mes textes ne sont pas des organes. d’où les larmes qui surgissent avec l’émotion qui me submerge. car oui, dirons-nous, [consentirons-nous], je suis de cette âpre liberté qui gouverne errance et solitude : cette judéité de toute femme et de tout homme dès lors que la femme et l’homme sont ébranlés par un sens de l’existence, à savoir cette impuissance protéiforme qui nous terrasse et nous révèle, et nous crée si fragiles à chaque fois, si fertiles.
(c’est l’incessant combat qui est répercuté)



















LIVRE-AVRIL - 23 - avril 2015

vendredi 3 avril 2015

515 - LIVRE-AVRIL - 22 (Provisoire)








     22






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’       ’



          j’ébrèche un peu
(aux côtés)


          une frontière
serait une voix
          désormais 

          (les lettres bornent les lettres)

          pour lire les organes d’avril




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Hématologie
AUTOMAT BECKMAN COULTER LH 500

Hémogramme

          Hématie 5 500 000 /mm3
Ida – Stein 16 %
          Hémoglobine 15,9 g/100mL
Hématocrite 46,7 %
Livre d’El – Sagot Duvauroux 12 %
          V.G.M 85 µ3
T.C.M.H 28,9 picog
Paterson – Carlos Williams                          14,3 %
          C.C.M.H 34 %

Leucocytes 6100 /mm 3

          Polynucléaires neutrophiles 46,7 % 2849 /mm 3
          Polynucléaires éosinophiles 4,0 % 244 /mm 3
          Polynucléaires basophiles 1,4 % 85 /mm 3
          Ici dans ça – Brosseau  7,8 % 97645 /mm 3
Lymphocytes 7,9 % 482 /mm 3
Cinq le chœur - Albiach 9,9 % 876 /mm 3

Plaquettes  196 000 /mm 3
Dans les années profondes - Jouve  98 µ3
V.P.M 8,2 µ3





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En vue d’obtenir son grade, Carl Adolph von Basedow postula chez l’anatomiste Johann Friedrich Meckel von Helmsbach, surnommé Meckel le jeune, qui est, rappelons-le, avec Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, l’un des fondateurs de la tératologie, autrement dit de l’étude scientifique des malformations congénitales. 
Il fut reçu avec cet enthousiasme austère, bienveillant, tout protestant, qui caractérisait Meckel aux yeux de tous. Au fil des mois, une solide amitié naquit entre le professeur et son étudiant, qui ne devait jamais être démentie jusqu’à la mort du maître en 1833 ; en témoigne le nombre impressionnant de lettres qu’ils échangèrent jusqu’aux derniers jours de Meckel ; notons que l’on peut consulter aisément, sous quelque prétexte de recherche universitaire, l’essentiel de ces lettres à la bibliothèque de Halle. 
Quand il rencontra Basedow, Meckel cherchait à renouveler les techniques d’amputation mises au point par Ambroise Paré. Il butait en effet, depuis plusieurs mois, sur la nécessité d’amputer la tête d’un enfant anencéphale sans pour autant compromettre la bonne santé de ses organes vitaux (l’anencéphalie est une malformation qui cause l’absence partielle ou totale de l’encéphale, du crâne et du cuir chevelu). Il orienta sur ce sujet la recherche de son étudiant. Basedow travailla d’arrache-pied à mettre au point une nouvelle technique, laquelle se révéla parfaitement fonctionnelle. L’enfant fut sauvé. Basedow obtint son grade. 
Le père du petit anencéphale, ancien de Waterloo, garde frontière de métier, fut invité à la remise du titre. Il ressentit beaucoup de joie et de fierté à montrer son enfant étêté à l’assistance composée des plus hautes sommités de la médecine prussienne. 





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je reste dans le froid quelle vertu ne pourrait prétendre à la pureté dans le ventre j’écoute les bas bruits de la langue j’entends hypernervosisme palpitations thermophobie douleurs musculaires et depuis s’enchevêtrent les possibles significations des mots du corps un seul visage toutefois scrute une tachychardie à plus de 100/mn je regarde verdir l’outre monde derrière un nombril derrière une exophtalmie j’observe murmurer la vérité ce ruissellement dérisoire circonscrit à la présence de ta voix clouée contre une dystrophie multi-nodulaire des deux lobes et c’est bien cela la langue maternelle imprononçable à la façon d’une hyperfixation au niveau du lobe moyen droit c’est cela la bonne nouvelle quand te tenant droit tu entends paître la langue maternelle qui s’accompagne de perturbations du bilan hépatique dans ton ventre dans tes tripes et dans le lacis des vieilles semences et la profondeur 
entre la station debout et la promesse d’une vive





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j’aurais attendu que ma peau se lie à la poussière du chemin. ce fut un voyage dans les livres de la Shoah. les champs, les arbres, le liseré d’herbe au bord. avril fut le temps nécessaire à la mort et à la vie. je veux dire qu’avril fut l’infidélité même, et pas une once de désir ne nous a échappée. avril m’a pris par la main. il m’a traîné dans ma propre foulée. c’est l’horreur hallucinée, c’est le génie malade de l’Europe que j’ai rejetés et adoptés dans sa furie changeante. c’est 
une maladie qui m’a révélé à la raison d’être. infidèle à la santé. se défaire du jour pour observer le pendant nocturne. d’heure en heure je me délite et c’est encore une présence à la manière des [      ] que je deviens : avril tresse son abîme à mes humeurs désaffectées. je suis moins une personne dorénavant. la maladie m’a initié au destin des jonquilles et des moraines. un paysage se tait dans mon visage. avril édifie des images sur une presque scène. des lumières limpides, des chaussées humides — et dans le fond des masses noires boursouflent un ciel musculeux.

























LIVRE-AVRIL - 22 - Mars 2015