Si je me retourne et, dans un effort de pensée, m'essaie à discerner les causes qui ont eu pour effet la cessation de l'écriture de mon journal, je reviens toujours sur le même constat: j'ai arrêté de raconter ma vie au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Autrement dit, ces faits-là ont eu la puissance de sidération que sans doute visaient leurs auteurs - et je ne crois pas que les commentaires nombreux prononcés dans l'immédiateté soient d'une autre nature que mon impossibilité à mettre en forme une expression authentique de ma subjectivité.
Cette sidération m'a tenu durant de longs mois. J'en émerge ces jours-ci, quasiment deux ans après. Si un sentiment d'indécence persiste aujourd'hui à l'idée de livrer la substance des différents états et pensées qui me traversent encore, alors que tant de vies ne pourront tout simplement pas continuer d'être vécues puisque leurs sujets ont été assassinés, il me semble que garder le silence pourrait à son tour être aussi indécent, comme si la mort pouvait avoir le dernier mot; or elle ne le doit pas, le dernier mot doit être de la voix du vif.
Je crains que nous ayons subi, plus ou moins fortement selon nos sensibilités, un traumatisme qui nécessitera ce long travail visant à clôturer (au sens de poser une clôture, border, voire simplement linéamenter) un espace béant dont la vocation est de ne plus se refermer, et puis, un jour, tomber plus ou moins dans l'oubli des générations. C'est dire que rien n'en finira avec l'impossibilité de venir à bout du traumatisme par un usage de la raison explicative.
Sans doute, la littérature est un outil efficient pour circonscrire le territoire du traumatisme. Les textes des Kertèsz, Antelme, en sont la preuve. Peut-être ces livres nouveaux dont nous avons besoin ont-ils déjà été publiés ou sont-ils en cours d'écriture?
Je porte mon regard vers ce qui me tient lieu d'intériorité, je découvre la peur et le désarroi, à regret, à rebours de mes intentions premières. Il y a cela qui me mine, qui est de l'ordre d'une époque, auquel je ne parviens pas à échapper. Il est impossible de se soustraire tout à fait aux vilaines empreintes que l'ambiance générale laisse sur nos psychismes.
Pour autant, si je regarde un peu plus attentivement dans le for intérieur, je perçois la joie et la colère qui demeurent les biais les plus sûrs pour un exercice vivant de l'existence.
*
Cette sidération m'a tenu durant de longs mois. J'en émerge ces jours-ci, quasiment deux ans après. Si un sentiment d'indécence persiste aujourd'hui à l'idée de livrer la substance des différents états et pensées qui me traversent encore, alors que tant de vies ne pourront tout simplement pas continuer d'être vécues puisque leurs sujets ont été assassinés, il me semble que garder le silence pourrait à son tour être aussi indécent, comme si la mort pouvait avoir le dernier mot; or elle ne le doit pas, le dernier mot doit être de la voix du vif.
Je crains que nous ayons subi, plus ou moins fortement selon nos sensibilités, un traumatisme qui nécessitera ce long travail visant à clôturer (au sens de poser une clôture, border, voire simplement linéamenter) un espace béant dont la vocation est de ne plus se refermer, et puis, un jour, tomber plus ou moins dans l'oubli des générations. C'est dire que rien n'en finira avec l'impossibilité de venir à bout du traumatisme par un usage de la raison explicative.
Sans doute, la littérature est un outil efficient pour circonscrire le territoire du traumatisme. Les textes des Kertèsz, Antelme, en sont la preuve. Peut-être ces livres nouveaux dont nous avons besoin ont-ils déjà été publiés ou sont-ils en cours d'écriture?
Je porte mon regard vers ce qui me tient lieu d'intériorité, je découvre la peur et le désarroi, à regret, à rebours de mes intentions premières. Il y a cela qui me mine, qui est de l'ordre d'une époque, auquel je ne parviens pas à échapper. Il est impossible de se soustraire tout à fait aux vilaines empreintes que l'ambiance générale laisse sur nos psychismes.
Pour autant, si je regarde un peu plus attentivement dans le for intérieur, je perçois la joie et la colère qui demeurent les biais les plus sûrs pour un exercice vivant de l'existence.
(à suivre...)
*
Il y a une joie.
Son fondement se trouve au cœur
d'une implication personnelle dans la précarité
qui frappe sentiments, entreprises et relations
:
désorganisation effective du réel - toujours
:
cette machine désirante comme dirait l'autre
, de sorte que cette précarité est une force
-
bien entendu
*
*
[vendredi 21/01/16] 16h23
métro - assis
une fatigue clôture l'abondance
des sens
de ceux qui descendent la
vallée et dévalent aux
couleurs des voix
je ne meurs pas encore
il y a le cœur en pente aussi
les brefs semis qui piétinent les
siècles
je ne veux pas mourir à dire vrai
tu as ta main qui regarde
le timbre de ma voix
ta main sans profondeur
longue comme un étang
à la limite du souffle
un peu plus de temps pour
épaissir le suspens
métro - assis
une fatigue clôture l'abondance
des sens
de ceux qui descendent la
vallée et dévalent aux
couleurs des voix
je ne meurs pas encore
il y a le cœur en pente aussi
les brefs semis qui piétinent les
siècles
je ne veux pas mourir à dire vrai
tu as ta main qui regarde
le timbre de ma voix
ta main sans profondeur
longue comme un étang
à la limite du souffle
un peu plus de temps pour
épaissir le suspens
***
2 commentaires:
Traumatisme, oui (j'habite à cent mètres de deux des "terrasses" mitraillées ce soir-là pendant que j'étais au cinéma.
Quelques livres sont déjà parus sur cet événement : forcément, des survivants (du Bataclan). Mais chacun garde en soi (qu'il ait été près ou loin des lieux) ce souvenir comme atteinte à la fragilité même de l'existence.
Le silence ou la parole ou l'écriture ou l'image : il n'existe sans doute pas de voie exclusive l'une des autres.
Dominique,
Oui tu as raison, atteinte à la fragilité même de l'existence, ce qui nous demande de bricoler ce qu'on peut, comme on peut.
Merci de tes mots
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