lundi 19 novembre 2012

269 - Le sac - 1/3








J'ai pris cette photo un matin après avoir déposé ma fille à la crèche. Cette abondance de sac poubelle, cette cascade de plastique m'a interpellé, me rappelant de grands moments de la peinture européenne, notamment certains drapés de van Eyck.


van Eyck, Les époux Arnolfini


Van Eyck, La vierge du chancelier Rolin 


Peu de temps après, un ami m'a parlé du critique d'art Daniel Arasse dont, il y a maintenant quelques années, j'avais dévoré le livre "Histoires de peinture" issu d'une émission radiophonique de France Culture. Par une intuition latente, cachée sous mon espoir manifeste de renouer avec un plaisir intellectuel intense, j'ai feuilleté de nouveau quelques chapitres de l'ouvrage et, selon une coïncidence qui, j'en suis certain, n'avait rien de fortuit, suis tombé sur cet article : "Le rien est l'objet du désir." L'historien de l'art commence par y décrire Le verrou, tableau de Fragonard.


Fragonard, Le verrou


Il en décrit la partie gauche, laquelle prend beaucoup de place sur la toile, comme un rien : des plis, des draps, des oreillers : un lit en désordre. A bien y regarder pourtant, on y voit autre chose, mais la peinture ne le dit pas, c'est là sa puissance : elle propose mais n'impose rien et, de la sorte, parvient à transmettre l'innomable. Contrairement aux mots, elle échappe à ce paradoxe que dés lors qu'on tente de le dire, l'innomable nous échappe, puisqu'à le dire il n'est plus l'innomable. La peinture se situe en-deçà du langage verbal. On voit ou on ne voit pas, comme dit Daniel Arasse.
Je me suis rendu à l'évidence que, d'une certaine façon, j'avais moi-même photographié un rien, non pas issu de l'art d'un peintre, mais du hasard de ce sac poubelle débordant. C'était ce rien qui m'avait saisi, cette effraction de la peinture dans le réel pour y commettre un délit de figuration de l'innomable.

Se posait la question: qu'y a t-il à voir dans ce rien ? Qu'est-ce qu'on voit ou qu'on ne voit pas?


A suivre...




2 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

Daniel Arasse : "on n'y voit rien", comme il l'a écrit justement !

Mais votre comparaison du sac poubelle avec des peintures de drapé est osée - pourtant ne dit-on pas "elle s'habille comme un sac" ?

"Le Verrou" de Fragonard a donné lieu à un type d'analyse qui enchante. On regrette toujours Daniel Arasse.

Julien Boutonnier a dit…

D. Arasse m'a introduit dans le monde de la peinture. Son émission sur France Culture a été pour moi un vrai choc.
"S'habiller comme un sac": oui, vous avez trouvé l'expression qui fait lien et renforce la comparaison. Merci!
Vos remarques me sont un havresac.