mercredi 11 octobre 2017

679 - peut(-)être un journal








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Je ne cesse pas de découvrir et m'émerveiller de la portée subversive d'une relation amoureuse. S'attacher à être dépendant de ma femme, c'est une libération radicale. La dépendance choisie à un être humain vivant est peut-être le seul viatique valable pour susciter en soi ce jaillissement de présence auquel me nourrir. La multitude des emmerdements qu'une telle situation de proximité induit est toujours susceptible d'être retournée en situation de joie, de dépassement, de découverte. L'important, sans doute, là-dedans, consiste en cela qu'il nous faut, chacun, être en mesure de supporter la division que nous logeons, l'antagonisme qui oppose des forces toutes légitimes du point de vue de la morale. Il n'est pas question ici de bien ou de mal, mais de rester unifié quand, depuis le for intérieur, des motifs divergents nous déchirent. Autrement dit, être soi dans une relation amoureuse implique que je sois identifié, non pas à une identité stable, nette, dicible, mais plutôt aux conflits incessants que j'abrite. On peut argumenter que ce conflit implique aussi des solitaires. Cela, on ne peut pas le nier. La différence, essentielle, et très subversive il me semble, est que la vie amoureuse nécessite un usage très régulier de la parole. En amour, tel que je le vis du moins dans le partage d'une vie quotidienne au long cours, témoigner de soi à l'autre aimé(e) est le gage premier d'un engagement qui compte. Certes il ne s'agit pas de chercher à tout dire, personne n'est assez misérable pour en arriver là, que ce soit du côté du locuteur ou de celui du récepteur. Parler en amour, c'est plutôt faire vibrer des semblants où peuvent se refléter des pans labiles de vérité: vérité d'un sentiment, vérité d'un désir, vérité d'une loyauté, vérité d'une implication... La subversion se manifeste là parce que, dans cette pratique de la parole, je me transforme moi-même. La parole que j'énonce par amour me fabrique tel que je n'aurais su le prévoir, elle me détourne, me renouvelle et me jette dans l'existence. Cette parole me défait des mots d'ordre, des obligations creuses, elle m'oriente vers le vif des contingences. Pour autant, il ne s'agit pas de parler en l'air. Pour que parler en amour ait cette portée existentielle radicale, une seule loi: faire ce que je dis (parfois dire que je n'ai pas fait), et porter attention à ce que l'autre fasse ce que lui-même dit (ou dise ce que lui-même n'a pas fait). C'est la grande Loi amoureuse: que les actes et la parole s'articulent dans un élan que l'on pourrait qualifier peut-être d'honnête.

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J'ai trouvé cette liste dans l'herbe. Quelqu'un que je ne connais pas l'a écrite. Je la regarde comme si j'étais un visiteur venu d'une lointaine galaxie, découvrant un planète déserte, sans vie, et trouvant cette liste: unique vestige d'une existence depuis longtemps disparue.
C'est un artifice certes, mais il n'en reste pas moins vrai qu'il me procure le sentiment poignant d'une existence provisoire. Il me renseigne de plus sur une fonction de l'art: rendre à l'émotion la plus sensible le moindre aspect du réel.

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M.E.R.E prend quasiment tout mon temps.
Terminer dans un premier temps les corrections de la version papier en prenant en compte les remarques de Virginie et Jean-Yves.
J'ai commencé à écrire un synopsis pour animer/mettre en image la balise F. 

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Quand j'écris ces petits poèmes (ceux que je scanne de temps à autre ici)  dans le métro, sur un banc ou dans le salon, j'entre dans une activité qui me détourne des associations automatiques à l'usage dans l'exercice ordinaire de la langue. Faire le poème, c'est fournir cet effort visant à désarticuler les liens qui font sens et sur les pourtours desquels nous sommes habitués à reconnaître notre expérience du monde. Il s'agit d'errer dans les mots isolés les uns des autres, rendus à leur étrange présence solitaire, sur le fil des sensations que la contingence provoque dans mon corps.
En résumé, écrire ces petits poèmes, c'est miser sur ce qui aurait pu être autrement avec l'outil d'une langue désossée.

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lundi 9/10/17 12h53 L, parc, banc, assis

 extrait de la langue l'arbre surgit
     c'est un fait qui vient toujours
mon cœur s'en trouve épaissi

j|e porte la main sur un destin
     façon de défaire le manque de lieu

là-bas les reliefs se devinent après

      insecte après insecte
  chaque mouvement laisse un oubli
              champ immense

   tu t'assois à côté
   les herbes à nos pieds font la loi
  
   des ailes en tous sens
   et l'air qui s'amoindrit jusqu'à l'eau

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1 commentaire:

Dominique Hasselmann a dit…

Les poèmes ne devraient-ils pas tous rester manuscrits ?

La personnalité de l'auteur n'apparaît pas de manière aussi limpide dans l'uniformisation de la frappe directement sur ordi.

"L'analyse dactylographique" n'est pas encore inventée ?

(amusant : j'ai justement écrit ce matin au stylo un petit texte pour mon blog demain)