mercredi 7 octobre 2015

558 - J moins 2 avant lecture








mercredi 7 octobre 2015




Que voulez-vous dire quand vous affirmez : "Je crois que lire en public consiste à se dépersonnaliser. C'est une manière d'entrer dans l'anonymat."



Je pense à l'angoisse car c'est un affect qui signale l'anonymat tel que j'en ai l'intuition. L'angoisse intervient quand je reste sans voix, nu, face à quelque chose que je ne peux pas penser. La survenue de l'angoisse dans un cours d'une vie est cet événement selon lequel je me trouve livré à l'inobjectivable, déporté sans recours sous l'autorité inquiétante d'un s|ens qui ne vient plus. La langue est rendue à une déraison, elle est accaparée par une soudaine passion pour l'anonymat. Elle se refuse aux exercices d'identification et de catégorisation ordinaires par lesquels nous mettons en ordre notre rapport au monde. La langue tourne à vide, ouverte à tous les vents. Elle nous délaisse, se fait fin en soi, indocile, rigide, fuyante, inadaptée, toute occupée à son étreinte avec ce visiteur étrange et sans visage que j'appelle l'anonymat
Or, ce désordre concerne le poème. Le texte poétique, tout comme l'angoisse, est censé révéler cet amant de la langue à l'ordinaire dissimulé, cet anonymat qui vaque à l'arrière-fond de nos personnes, hors d'atteinte. Il désoriente la langue lui aussi, la soustrait à sa fonction pragmatique de délivrer un message informatif.
Je crois donc que lire en public un poème reste cette entreprise périlleuse selon laquelle je porte à la connaissance de tous cet hôte inquiétant. Je dévoile la nature amoureuse de la langue, son élan érotique vers lui. Autrement dit, lors d'une lecture, je tends vers une dépersonnalisation et laisse affleurer dans mon visage déserté cet autre que tous nous logeons, qui nous concerne sans jamais coïncider : je me porte vers cet état de l'angoisse. On comprend dés lors qu'au cours d'une lecture poétique il ne s'agit pas tant de livrer les informations du texte que de se faire témoin de l'anonymat qu'il suscite dans les corps.

















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