mercredi 26 février 2014

422 - peut(-)être un journal







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pluie tresse 
profondeur et chute et temps 
et ces choses qui se disent peu
à peu dans les siècles au compte
-gouttes

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l'aria d'une averse vibre après
quand
je rembobine une flaque
vibre
l'aria d'une averse

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pluie:
un temps que passe le ciel à faire du poids
la conversion d'un éther à la joyeuse précipitation 

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pluie
ponctue

virgule humide verte et ravines

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pluie - école - couloirs bondés - enfants - cris - bonds - bruits - retrait - : bibliothèque - : silence - j'ouvre - debout - un livre - : la vierge du chancelier Rolin - regard - suspens - le temps comme une couette remonte jusqu'à mon oreille - j'écoute - une peinture - dans la chambre verticale - je - ferme - le livre - retourne - imprégné - dans la brume bruyante des fastes puérils - et je vois - encore - le pont - qui enjambe le fleuve - et la main du vieux bébé - Jésus - pont et main dans la même ligne courbe - si émouvante - la bénédiction du dieu - traverse le fleuve - s'aventure dans le monde - cette vieille enfance - si sage - épuisée - à la source du pont - je - m'aventure - dans l'enfance récente - dans le flot des élèves - chassés de la cour par la pluie

*

nous sommes soif
nous sommes soif de soif
nous sommes soif aux abois
nous sommes soif les uns des autres


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La phrase a semé tant de sens aux voies de communication qu'elle cherche sur les terres battues de vent, le silence qui la défera de phrase, la sculptera dans des temps différents, la présentera ronde bosse aux yeux de tous en embarquant la réalité qui la tourneboule. Ruse qu'elle est, ruse des dieux.

Caroline Sagot Duvauroux, Le livre d'El - d'où, José Corti

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cour - soleil - ce bienfait d'une lumière tiède - une peau - sourit - je le sens - les enfants - jouent - aux toupies - j'attends - mon ombre - devant - m'atteste - j'y crois

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si je ne cherche pas à ajuster l'élan de mon écriture, c'est probablement parce que de l'incohérence jaillissent les objets (inondés) oubliés, les trésors enfouis, ceux du passé autant que de l'avenir et du présent
( je pense toujours à l'amphibologie du mot présent: j'entends le terme dans le sens de ce qui a lieu maintenant mais aussi de ce qui est cadeau )
c'est peut-être ça l'objet de ma recherche: une incohérence qui parle, qui trame du songe, qui nourrit des évocations les unes après les autres
ce qui importe (à défaut d'être réellement important) resterait rythme, tempo, motifs traversant cette incohérence, comme une caravane de touaregs dans le désert : regarder cela, les formes passer, dans un désordre limpide
désert = désordre limpide
quant à ce qui est réellement important...
l'air peut-être
qui se cache/révèle
entre les consistances

se tourner du côté de la musique, délaisser le sens pour mieux cueillir son pourtour, son amont, son juste-avant-que-ça-sourde, : surprendre la montée de la sève, ce secret qui sécrète, dans les artères d'une langue-soif

s'en remettre à la fatigue, au trébuchement 

la langue appelle les mots comme le creux la flaque
la langue-soif hurle à vif 
comme si son béant pouvait être comblé
espoir des pluies dupes
mais elle sait
la langue-soif
la trouée de son corps
elle aime à sentir la phrase 
frotter ses peaux 
disparaître dans une promesse
de non-retour

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érotique du glas:
Ces dernières paroles furent : "Je te promets mon amour, de ne pas revenir d'entre les morts." Et son coeur cessa de battre comme un feu passe au vert.

parole de dupe - on hante toujours ceux qu'on laisse - cela nous échappe - même mort notre vie nous échappe - comme en ses prémices - elle tient à ce que d'autres en font

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écrire en style obscur, contre le dictionnaire, tout contre, dans son souffle même, celui-là qui lui échappe, à la brune, après l'effort de la journée, et la rosée de son idiote épaisseur, magique, folle, la recueillir par capillarité, sur la surface froide des lettres à la fenêtre 

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un des 3f par Christine Jeanney:

souffle de dictionnaire / épaisse rosée

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Le moment où le rêve devient poreux est le début formel du cauchemar. L'improvisation est devenue impossible, on est au pays du cri. C'est étrange que Freud n'ait jamais parlé du cauchemar, mais uniquement du rêve d'angoisse. Etrange en particulier dans les pages de l'"Au-delà" consacrées à la "fonction originaire du rêve". Le cauchemar, lui aussi, est un phénomène fonctionnel où l'on autoaperçoit que l'on est poreux au néant.


Gribinsky, Qu'est-ce qu'une place?, Editions de l'Olivier, Collection Penser/rêver, p 104

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poster feuille de soin - appeler A et S pour faire garder la petite - respirer plusieurs fois par jour - dormir en même temps - rêver à ce que de droit - rendez-vous dentiste


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Il le faut, oublie donc ton salut et sommeille sans plainte
Mais pourtant sourd une voix qui espère en ton sein,
Tu ne peux toujours pas encore, ô mon âme, encor ne peux
T'y faire et poursuis ton rêve en un sommeil de plomb!
Je n'ai pas de temps à fêter, mais voudrais couronner mes boucles,
Ne suis-je donc pas seul? Mais il faut qu'une présence
Amie de loin me soit proche, il faut sourire et m'étonner
D'un tel ravissement jusqu'au sein de ma douleur.



[...]


Certes les printemps s'en vont, une année efface l'autre,
Changements et conflits; ainsi, là-haut, le temps passe
Aux mortels sur la tête en grondant, non aux yeux pleins de bonheur,
Et c'est d'une autre vie qu'il est fait don aux amants.
Car eux tous, les jours et les années des étoiles nous ont
Diotima, entourés d'union intime et sans fin;


Hölderlin, Plaintes de Ménon sur Diotima (extraits), 
Oeuvre poétique complète, Editions de la Différence, traduction: F. Garrigue

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il n'est pas bon qu'une société soit trop occupée à être efficace 
sinon comment rêverait-elle
?
nos enfants se logent dans nos rêveries 
c'est là qu'ils croissent 
et deviennent beaux
et deviennent forts

une société digne de ce nom 
organise la rêverie des adultes 
dans le but très fondamental 
de la reproduction de l'espèce

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supermarché Bioasis - queue - musique new age - caissière - je reste dans le coeur de la chose - à préparer - mon passage - mais quoi? - payer le prix - et puis boire cette bonne bouteille de vin sans sulfites - avec les amis, pas vus depuis longtemps - la vie passe - on dirait - que de loin - la mort nous fonce dessus - bouche grande ouverte - nous dévorer - lui dire oui - qu'on veut bien - mourir - on verra - la petite fille derrière le terrible masque - son besoin d'amour - la mort c'est une petite fille - si détestée - quand d'elle jaillit la possibilité d'un sens de nos vies - mais le sens - c'est douloureux - la mort joue - la partition qu'on lui prête - : une mélodie d'aurore - ou bien - une marche

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Mahler Symphony No 5 C♯ minor Bernstein Wiener Philarmoniker

"Où l'on entend la mort, tour à tour masque tonitruant et petite fille"

"L'angoisse est une joie qui se cherche;
la joie est un désir d'éternité que ravage une finitude."

"On s'habitue à tout, même aux miracles."

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matin - torse oppressé - fatigue - week-end - : guerre - survivre au loisir d'un partage pourtant si chèrement acquis - famille - folie - domaine de la lutte - de pouvoir - l'amour - : plus j'en suis plus c'est difficile

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Je suis soumis à d'étranges cycles d'humeur, parfaitement insupportables pour mon entourage. L'idée du sacrifice me taraude, pour une cause quelconque, ici celle de l'écriture. C'est une voix qui me hante, un malheur qui m'attire, une destruction du lien d'amour dont je me défends. 
Dans les yeux de ma femme, c'est toute ma vie au monde, ma vie de présence que je constate. 
Quelle est cette agression qui stipule mon assignation dans la strophe et puis l'autre, et puis l'autre? Je reste sans mots, abasourdi, et devant moi le médaillon de Jean Fouquet oscille, m'hypnotise et me pousse à la défection, sur un fond de nuit inquiète, sur un semis de culpabilité scintillante et noire.
Soulages?, tiens... 
Ce regard de Jean Fouquet, je le connais, c'est celui de la voix qui m'attire. Le médaillon, c'est le signe de mon désir. Celui de me consumer dans l'écriture, de pousser cette aventure le plus loin possible. 
Et voici que je suis un fente-homme, ce lieu de passage pour les songes du monde. Et voici que je blêmis dans la peau de ma femme? 
Et le malheur fond sur ma maison. 
Et l'impasse semble être le motif des voies dans lesquelles je me suis engagé. 

*

Entre angoisse et malheur, je choisis angoisse, c'est-à-dire le rapport amoureux, ce soutenir-une-relation-à-une-femme. 
Le malheur est la religion des cons. 
L'angoisse est une joie qui se cherche. 

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***













2 commentaires:

Isabelle Pariente-Butterlin a dit…

Des émotions et de la vie sous la perspective des modifications atmosphériques : le prisme à travers lequel vous regardez la vie, dans toutes ses intonations, la diffracte et précise ce que, souvent, nous ne parvenons pas à saisir dans le flux du temps.

Julien Boutonnier a dit…

Merci Isabelle. Vous formulez si bien le sens de ma démarche, je ne saurais mieux dire!