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L'index - 6
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Histoire de ma disparition
Le deuil est une histoire d'amour sans lendemain
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Chapitre 1 ; Chapitre 2 ; Chapitre 3 ; Chapitre 4 ; Chapitre 5 ; Chapitre 6 ; Chapitre 7 ; Chapitre 8 ; Chapitre 9 (fin)
Chapitre 5
Je marchais des heures.
Dans l'appartement de type 1 bis.
Je perdais mes pas.
De temps à autre je me débarrassais d'un meuble ou bien d'un objet.
Cela me touchait de créer un vide.
Une absence.
J'y voyais une manifestation de la nuit :
Mon amour.
Je jetais un disque.
Une assiette.
Un bibelot.
Un réveil.
Une tasse.
Un pot de moutarde à moitié plein.
Une table de chevet.
Un poster de Grease.
Un cours d'histoire.
Un DVD de Titanic.
Un téléphone.
Une télévision.
Un canapé.
Un slip.
Une photo d'une ma mère.
Un gobelet.
Je ressentais une joie nocturne sans précédant.
Je gardais :
Une planche posée sur deux tréteaux.
Un tapis de sol.
Une couette.
Une table blanche.
Le strict nécessaire pour cuisiner.
Il n'y avait presque rien ici.
L'appartement de type 1 bis était à l'image de la nécessité à laquelle je désirais me vouer.
Je me promenais dans l'appartement des pas perdus.
L'absence des choses caressait la peau.
Je faisais l'amour avec ce presque rien qui vibrait de concert avec la nuit.
Emerveillé.
Dans la vacuité souriante.
Dans son volume.
Savourant une présence dans ce désert si doux.
Si intime.
Je ne reconnaissais plus les sensations du visage.
Je n'avais pas l'habitude que travaillent les muscles de ce sourire qui ne me quittait plus.
Je me sentais dans la personne comme un étranger.
Je pleurais quand je l'apercevais dans le miroir.
Que je sois dans ce corps si vivant était improbable.
Je pensais à une ma mère.
Une reconnaissance pinçait le coeur.
Je ne savais pas si ce sentiment se rapportait à sa vie ou bien à sa mort.
J'avais arrêté de chercher quoi que ce soit.
Marcher dans l'appartement de type 1 bis.
En rond vers mon but.
A la longue se séparer d'un objet devint un rite.
La chose disparue persistait un temps dans la vie comme un symbole précieux du désir puis je perdais sa trace dans l'immensité du passé.
Si cette vie d'arpenteur intérieur n'était pas déplaisante,
J' étais tendu et parfois désespéré à l'idée que je ne trouve pas un accès définitif à la nuit.
Je ne savais pas comment agir.
Le corps distrayait.
Je remarquais son ombre sur un mur.
Ou bien ses mains au bout.
Ou encore son image dans un miroir.
Je ne cessais pas de m'étonner qu'il s'exécute selon une volonté.
Cette absence de médiation entre esprit et corps me fascinait.
Pourquoi avais-je un tel pouvoir sur ce petit bout de monde que par ailleurs j'étais?
Je jetais un dessous-de-plat.
Une chaussette.
Un magazine.
Une fourchette.
Une taie d'oreiller.
L'autre chaussette.
La douleur de la mort d'une ma mère encore.
Je tombais à genoux dans la souffrance du manque.
Les larmes.
Le visage.
Dans la plaie je trouvais une paix utérine.
Cet accablement tranquille ne durait pas.
Je reprenais la traversée de l'appartement de type 1 bis.
J'étais résolu à errer le temps nécessaire dans un désert de trente mètres carrés.
Que toutes les forces soient orientées vers la nuit vivifiait la présence.
J'écoutais les Variations Goldberg de Bach jouées par Glenn Gould vieillissant.
Par un mystère que je préservais avec amour cette musique prêtait un visage à la nuit.
Dans ces mélodies jamais elle n'achevait de se retirer.
Sa présence fuyante se révélait à chaque écoute.
Je stationnais debout au sein de la lumière vaste et laissais les fugues et autres gigues envisager la nuit dans l'épaisseur d'une verticale humaine.
Je jetais un coussin.
Un stylo.
Un disque compact.
Une photo de chien.
Une serviette de table.
J'en arrivais à accepter qu'une vie se réduise à cela.
Cela paraissait sensé de soupirer après la nuit.
De chercher à l'attacher pour toujours.
Je jetais un tube de pommade.
Une pièce de cinq centimes.
Un mouchoir brodé.
Une boite d'allumettes.
J'avançais dans la distance inconnue qui séparait la nuit.
Le motif incertain d'une existence remplissait d'allégresse.
le médaillon - 9 - l'index - 6 - avril 2014
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