dimanche 8 juin 2014

448 - le médaillon - 15 - l'index - 12








Pour un plan d'ensemble de l'ouvrage, voir ici.













L'index - 12


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Histoire de ma disparition

Un deuil est une histoire d'amour sans lendemain




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Chapitre 9 (fin)





Hippolyte.

On parlait de lui par une bouche. 

On commentait ses faits et gestes. 

On lui prêtait des paroles.

On disait qu'il était poète.

On affirmait qu'il avait composé le livre du siècle mais que personne ne saurait en prendre la mesure avant longtemps.

C'était ce qu'on disait par une bouche. 

Un corps était griffé par des ongles.

Un corps aimait se blottir dans un coin et se balancer d'avant en arrière. 

Le temps passait comme cela.

Une peau comptait les minutes.

Un corps appréciait durer de la sorte.

Un corps se ruait sur les feuilles et leur faisait l'amour.

Brasser les pages. 

Les caresser.

Les froisser un peu les lécher.

Plonger dans ces textes aux textures si douces.

Quoi de plus érotique.

Hippolyte et un corps s'unissaient durant de longues heures pour écrire.

On disait qu'ils écrivaient un livre infini.

Un livre impossible en ce qu'il était autant Hippolyte et un corps que ceux-là l'étaient eux-mêmes.

Ce livre faramineux avait pour objet de constituer le corps immortel et symbiotique de Hippolyte et un corps à la fin des temps. 

On le disait par une bouche.

Dans l'appartement de type 1 bis était conçu un manuscrit transcendant. 

Il y était question d'amour eschatologique.

De rites célestes.

De listes universelles.

A en croire les rumeurs.

On faisait écho de certains contacts de Hippolyte et d'un corps avec un énigmatique mécène. 

On évoquait de futures publications d'extraits de ce grand oeuvre. 

On parlait de venue au grand jour.

On parlait de triomphe apollinien.

Certains avaient noté qu'on faisait toujours état de Hippolyte et d'un corps au passé.

Comme s'ils n'avaient jamais vécu au présent.

On polémiquait avec virulence sur cette question.

L'avantage allait systématiquement aux tenants de l'inexistence de Hippolyte et d'un corps au présent. 

Hippolyte et un corps seraient une construction à posteriori.

Une formation à l'imparfait.

Une entité passée qui se manifesterait au monde par l'intermédiaire de l'écriture.

Comme on se rend présent à un ami par le biais d'un courriel.

Un corps rampait dans l'amoncellement des pages zébrées.

Il s'y nichait comme un bébé kangourou dans la poche ventrale. 

Ces pages le contenaient à la façon d'une peau qui aurait été une histoire.

Un corps lisait cette dépouille qui constellait le lino. 

Il y trouvait des traces de jours mystérieux.

Il y constatait qu'on avait jadis vécu ici.

Il y avait eu des emportements.

Des joies et des larmes.

Des espoirs insensés autant que de profondes détresses.

Un corps errait dans ces vestiges sans comprendre.

Il n'aimait pas les miroirs. 

Il redoutait d'être unifié par son image.

C'était une question de vie ou de mort.

Si jamais un corps s'apercevait dans un glace il s'en retournait vite aux feuilles zébrées d'écriture pour en avaler le plus grand nombre. 

C'était une sorte d'exorcisme.

Un rituel de désenvoûtement. 

Un corps prenait des bains de lettres.

Il plongeait des feuilles dans l'eau jusqu'à ce que l'encre de l'écriture s'y dilue.

Il s'immergeait dans la solution et sa peau s'imprégnant des lettres diffusées prenait place dans le concert silencieux de l'alphabet.

Ensuite un corps s'allongeait dans la neige manuscrite et s'endormait.

On disait que Hippolyte était sujet à des hallucinations.

On racontait qu'il voyait des fantômes.

Les angles au plafond de l'appartement de type 1 bis avaient pour lui la présence d'un amour impossible.

Une déception sentimentale fourmillait dans les encoignures.

Elle en augmentait la clarté.

Comme si une tristesse anonyme ajoutait de la lumière dans ces lieux de l'appartement.

On disait que Hippolyte cherchait qui pouvait être à l'origine d'un tel sentiment.

Qui avait brisé le coeur de qui.

Certains allaient jusqu'à affirmer que Hippolyte était amoureux de ce surcroît lumineux et nostalgique.

Peu avaient le courage de rompre le charme de cette hypothèse et d'exprimer la réalité.

A savoir que tout cela restait une histoire de fantômes.

Hippolyte et un corps établissaient chaque jour de longues listes qu'ils voulaient exhaustives.

Elles avaient pour objet des fragments de dialogues et remplissaient des chapitres entiers de leur ouvrage.

On annonçait par une bouche que Hippolyte et un corps entendaient répertorier la totalité des dialogues possibles au cours d'un repas.

Ils avaient déjà épuisé avec une quasi certitude les manières de demander le sel. 

Cette partie comportait neuf cent soixante treize pages. 

On affirmait que le jour où sur cette question Hippolyte et un corps avaient jugé qu'il n'y avait plus rien à ajouter. 

La lumière dans les angles hauts de l'appartement avait sensiblement diminué.

Certains précisaient qu'ils avaient fait semblant de ne pas remarquer cette diminution de la clarté mélancolique.

D'autres disaient au contraire que Hippolyte et un corps remarquaient avec inquiétude les obscurités récentes dans les coins au plafond de l'appartement. 

Mais tous étaient d'accord pour annoncer que tôt ou tard la lumière nostalgique aurait disparu.













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