vendredi 28 mars 2014

433 - le médaillon - 8 - la paume - 4















La paume - 4


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Où je dis : pantagruéliquement


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"L'enfant merveilleux de la psychanalyse, nous les êtres parlants, nous ne sommes que des êtres de vent, des messagers évanouissants entre la jouissance qui aspire les mots et le nom du père qui les ordonne."

J-D Nasio, cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan, Petite Bibliothèque Payot, 1994





j'ai hésité 
c'était un peu ridicule 
tout de même 
je l'ai dit :
pantagruéliquement
et puis je n'ai plus hésité
j'ai dit :
pantagruéliquement

entre les deux
je l'ai dit Une fois
c'était comme de justesse
un péril qui sauve


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sur le divan mon corps tendu 
dur comme une planche
la parole entrait dans ma voix
comme à l'inverse
comme à rebours
la parole me retournait 
ouvrait mon cul-de-chien
y fourrait ses phonèmes
la parole anale
sadique 
retenue dans le revêche atour d'un muscle tout puissant
abdos contractés
ça retient le caca
ça lâche pas le morceau
ça fait caca 
ça en fout partout
sur le visage des gens
sur le divan
sur le d'enfant

j'ai accidenté cette emprise 
en effet j'ai dit cela
j'ai dit :
pantagruéliquement

et le psy 
depuis son lieu impossible
avec sa voix d'outre-soi 
le psy a répété :
pantagruéliquement

alors j'ai trébuché 
les yeux ont vu la boue du monde en soi:
     ces évocations retorses et multiples et concomitantes

un noeud de songe s'est défait
et j'ai regardé fuir
la moitié d'une vérité
au jusant de ma présence


//


A vrai dire de quoi parlais-je? 
Ecoutons ce récit-là:
Il parla de l'expansionnisme agressif d'un morceau de viande qui mettait au pas son psychisme, il évoqua oui, cette Rome de chair et de bourrelets, de muqueuse de plis de sang de fibres et de poils, ces configurations monstrueuses et conquérantes d'une chair inassouvissable, affranchie des mots, des visages et des lois, qui peuplait la ravine abîmée de ses élans sexuels. 
Il parla comme à côté de lui-même, dans l'impossibilité de coïncider avec son sujet, il parla de loin en lui-même, d'un endroit plutôt sordide, où l'enfant s'épuise à chercher le moyen adéquat qui lui permettrait de saisir d'abord le regard d'une mère, d'y provoquer ensuite un amour inconditionnel. 
Et ce fut dans cet écart éprouvant entre sa parole et lui-même, dans cette solitude puérile infiniment rééditée, que se logea un néologisme, irradiant comme une étoile pure de littérature, oui, de littérature: un adverbe ruisselant de significations, de promesses et de conséquences : 


pantagruéliquement 

Ô adverbe
sept fois dans ma bouche
tu sèmes ton nectar
et mon sexe à ton son
se met en verve
je bande oui
à ton passage à ma voix
je désire la langue
que tu laboures à la surface
comme ces traînes à la proue des caravelles
pionnières



//


Je le dis tout net: 

IL Y A UN MORCEAU DE VIANDE 
QUI VOUDRAIT PRENDRE MA PLACE. 

Il siège au lieu d'un sexe, sur le trône évanescent, à la butée, précisément sur ce seuil où les mots sont aspirés par la jouissance. Et il croît au fur et à mesure que je me fracasse contre lui. Et plus mon corps vibre pour toi mon amour plus je me démembre à son aune.  
C'est qu'il serait plus légitime que moi, à en croire certains qui médisent au sein du peuple que j'abrite, ce peuple des morts et des non-nés, là, entre tête et torse, dans ce trait d'union du cou où le sexe se condense. 
D'ailleurs, la pomme d'Adam, c'est la protubérance d'une verge compressée dans un slip. 
  

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quand j'éprouve du désir
il y a un morceau de viande qui se répand pantagruéliquement
voilà ce que j'ai dit sur le divan
traduit dans la langue qu'on parle 
quand on parle dans un livre


//

  
Ce morceau de viande, on en trouve une représentation dans Le sommeil de Gustave Courbet. La brune le touche d'une main rêveuse, elle le tient ouvert. Mais ici ce territoire d'une viande est accomplie, civilisée, transcendée en organe vivant d'un érotisme prodigue.  




Il ne faut pas s'y méprendre. Ce que notre jolie saphique retourne du bout des doigts, comme en un instant léger, hypnagogique, pontife "le mot [pontife], formé de pons (→pont) et -fex, élément tiré de facere (→faire), est un terme d'institutions dont le sens littéral est, selon les Anciens, « faiseur de ponts », Le Robert, dictionnaire historique de la langue française " ce n'est pas un drap, c'est une chair sans corps, sans esprit, séparée, livrée à la vie dans une sensation aussi volatile qu'innomable, c'est une viande à l'extrême pointe d'un rêve le plus anonyme: un pan de réel abrupt, sans médiation, auquel l'amour s'arrime et duquel l'amour se nourrit. Cette parcelle d'une éternelle absence, rouge vive et fibreuse, ôtez-la de la peinture, ne restera de cet ébat tendre que le désordre pathétique des boeufs qu'on mène à l'abattoir (à part dans ceux-là conçus par Temple Grandin, mais elle, si proche des bêtes, elle en sait quelque chose de la viande qui pulse pantagruéliquement). 




          là 
          se dévoile un arpent 
          du trauma-viande
          circonscrit 
          délinéamenté 
          par la sagesse érotique 
          d'une jeune femme 
          toute entière livrée à l'étreinte


il s'agit d'une caresse 
rêveusement maîtresse
de l'irrésistible

un axiome peut(-)être: 

une femme civilise un trauma-viande 

elle regarde avec tendresse, mi-amusée, mi-inquiète, la grande écartelée du Rembrandt; vigile discrète des écorchures, de sa présence timide et tenace, innerve trauma-viande de mots doux, attentionnés, où l'humanité des humains peut se nicher puis varier en intensité. 
A bien regarder le tableau, il semblerait juste qu'une femme murmure des mots d'amour à cette grande viande ouverte ciselée dans un si bel écrin de ténèbres. 
On pourrait croire que c'est la voix douce et fluette d'une femme qui a exposé, avec une telle sauvagerie, le trauma-viande sur l'autel d'un obscur ordre symbolique. Ici, point de gloutonnerie, point de ruades ou d'avancées grouillantes comme en mon fantasme, la viande est assujettie, placée sous le contrôle duveteux, inexpugnable, d'une femme amoureuse.


on pourrait presque dire:

ecce homo
ou plutôt
voilà un couple amoureux: 
homme et femme




reste 
que le trauma c'est la viande
en sa prolifération mentale
en ses morsures de milles bouches aux vals de ma chair
en sa multitude massive que n'entame nulle division


//


comprenons un peu:
      si l'événement de la parole d'un psy intervient là
      s'il répète un mot pantagruéliquement
c'est pour inciser cette masse galopante et vorace
la parole du psy répétant
pantagruéliquement
      parce qu'en attribuant cet adverbe 
au trauma-viande
sans le savoir
j'initie à mon tour un processus de civilisation
non pas dans l'aura d'une femme
mais dans celle d'une littérature 

Rabelais me l'explique en son début d'ouvrage:
Et par ce qu'en ce propre iour nasquit Pantagruel, son pere luy imposa tel nom: tel Panta en Grec vault autant à dire comme tout: & Gruel en langue hagarene vault autant comme altéré, voulant inferer qu'à l'heure de sa nativité estoit tout altéré.*

Pantagruel : tout altéré 
     l'enfant naquît 
     un jour de grande sécheresse 

Pantagruel vient au monde
sous le signe de la soif
sous le signe de l'altération de tout

et dans un adverbe qui force ma voix
advient cela de la soif
     cela du tout altéré

et la viande dès lors introduite à cette dimension de l'altération peut se délier à son tour, recevoir des écarts, des vides et prendre forme et prendre sens : je veux dire que je me trouve avec une vie en deux (en trois en quatre en cinq en six...) là où la viande imposait son nécessaire et périlleux chaos

je dis : 
pantagruéliquement
et je reçois de la soif
ce n'est pas tant que j'ai soif
c'est que je suis mis en présence de la soif


autrement dit 
j'exalte 
un désert
cet empan d'avenir qui brûle au bord de nos voix

     la soif est
     ce père 
     qui nous donne à l'errance
        dans ces précipices
        entre les sons de la langue 


//




un regard divergent 
d'une image que je me ferais de moi-même 
cet autoportrait de Jean Fouquet 
un regard en deux
où loge l'écart
le fond doré de l'icône
la viande transmutée
en vasque où vibre
une lumière naturelle

l'artiste a saisi un surgissement de la littérature
c'est cela qu'il aurait peint
au miroir de ses yeux

l'homme scrute 
     l'enfleure bien estrange 
pantagruéliquement 
innervée de soif 
de vide et de chance 
il scrute 
la vie en deux... 
séparée d'elle-même 
insoumise et libre 
de s'enchaîner à l'amour 
la vie qui dérive
à l'octroi des songes 



la viande déchaînée à la puissance d'un désir
c'est écrire
dans l'espace qui se déploie
au champ de vision 
de l'image que je me fais
d'un soi-même

ce serait ça oui que regarde Jean Fouquet
pantagruéliquement
ce serait une littérature
     un tout altéré
une enfleure bien estrange déplacée dans les mots du livre


Ce ne sera point chose inutile ne oysifve [veu que nous sommes de seiour,] de vous remembrer la premiere source et origine dont nous est nay le bon Pantagruel : car ie voy que tous bons historiographes ainsi ont traicté leurs chronicques, non seulement des Grecs, des Arabes, et Ethnicques, mais aussi les auteurs de la saincte escripture, comme monseigneur sainct Luc mesmement, & sainct Matthieu. Il vous convient doncques noter qu'au commencement du monde ung peu apres que Abel fut occis par son frere Cayn, la terre embue du sang du iuste fut une certaine année si tresfertile en tous fruictz qui de ses flans nous sont produictz, & singulièrement en mesles, qui l'on appela de toute memoire l'année des grosses mesles : car les troys en faisoient le boysseau, au moys de Octobre ce me semble ou bien de Septembre, affin que ie ne erre : fut la sepmaine tant renommée par les annales, qu'on nomme la sepmaine des troys Jeudys : car il y en eut troys, à cause des irreguliers bissextes que la Lune varia de son cours plus de cinq toizes, le monde voluntiers mangeoit desdictes mesles: car elles estoient belles à l'oeil : & délicieuses au goust. Mais tout ainsi que Noé le sainct homme, à qui nous sommes tant obligez & tenuz, de ce qu'il nous planta la vigne, dont nous vient ceste nectareicque, precieuse, celeste, et deificque liqueur, qu'on nomme le piot, fut trompé en le beuvant : car il ignoroit la grande vertu & puissance d'iceluy.
Semblablement les hommes & femmes de ce temps la mangeoient en grand plaisir de ce beau & gros fruict : mais il leurs en advient beaucoup d'accidens. Car à tous survint au corps une enfleure bien estrange : mais non à tous en ung mesme lieu. Car les ungs enfloient par le ventre, & le ventre leur devenoit bossu comme un grosse tonne : desquels il est escript : ventrem omnipotem [ : lequelz feurent tous gens de bien et bons raillars ]. Et de ceste rasse nasquit sainct Pansart & Mardygras. Les aultres enfloient par les espaules & tant estoient bossuz qu'on les appeloit montiferes, comme portes montaignes : dont vous en voyez encores par le monde en divers sexes et dignitez. Et de cette rasse yssit Esopet : dont vous avez les beaulx faictz & dictz par escript. Les aultres enfloient en longitude par le membre, qu'on appelle le laboureur de nature : en sorte qu'ils le avoyent merveilleusement long, grand, gras, vert & acresté, à la mode antique, si bien qu'ils s'en servoient de ceincture le redoublant à cinq ou six foys par le corps: Et s'il advenoit qu'il feut en point & eut vent en pouppe, à les veoir vous eussiez dit que c'estoient gens qui eussent leurs lances en l'arrest pour iouster à la quintaine. Et de ceulx là s'est perdue la rasse, comme disent les femmes. Car elles lamentent continuellement qu'il n'en est plus de ces gros etc. vous sçavez le reste de la chanson. D'aultres croissoyent par les iambes & à les veoir eussiez dit que c'estoient grues, ou bien gens marchans sus des echasses. Et les petitz grymaulx les appellent en grammaire Iambus. D'aultres par les aureilles, lesquelles ils avoient si grandes que de l'une en faisoient pourpoint, chausses, et sayon : et de l'aultre se couvroient comme d'une cappe à l'espaignole. Et dit l'on qu'en Bourbonnoys encores en a de l'heraige, dont sont dictes aureilles de Bourbonnoys. Les aultres croissoyent en long du corps : & de ceulx là sont venuz les géans, & par eulx Pantagruel.    

notons qu'en certaines provinces ces mesles, qu'aujourd'hui l'on appelle des nesfles, reçoivent le nom de cul-de-chien 


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Pantagruel
c'est le drap retourné
dans la jouissance des amantes
ce pur endroit de l'amour fusionné avec le réel
où la langue se blesse
et enfante son sujet
je veux dire
celui qui parle :
le héros de sa vie






* Les citations du Pantagruel sont issus de l'édition Publie.net.


le médaillon - 9 - la paume - 4 - mars 2014

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