vendredi 15 mars 2013

327 - peut(-)être un journal

Voilà demain.

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La neige, c'est le silence qui dégueule. Je n'aime pas voir la ville souillée par ce vomi calme. Je ne vois pas de poésie dans cette épaisseur de crasse pure. D'autant que je déteste sa froide haleine de mort et ce crissement sinistre qui retentit quand on la foule. La neige est cette macule immaculée qui m'attriste au combien. Et dire qu'en certains endroits il y en a d'éternelles. 

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Peut-être les grandes douleurs ne sont-elles pas toutes muettes.

Pierre Reverdy (ce lien mène au site Terres de femmes), Circonstances de la poésie, 
Recueil Sable mouvant, NRF, Poésie/Gallimard 

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Difficile de reprendre le lirécrire après l'interruption d'une semaine. Bénéfice toutefois de comprendre ceci dans la distance, que l'immersion dans les échanges et lectures numériques fonctionne comme un formidable moteur, lequel m'emporte et me prête une énergie, une inventivité, qui ne m'appartiennent pas en propre. Je suis porté par les écritures des autres, qui m'inspirent, me surprennent, transfigurent mon regard sur le monde, sur mon propre travail. Quand j'ai commencé le blogue, après la lecture de l'ouvrage Après le livre de @fbon, je pensais d'abord à la publication de mon écriture, à ce fait-là que j'exposerai mon travail au regard d'autres personnes (connues et inconnues). Jamais je n'aurais imaginé trouver cette sorte d'atelier collectif dans l'effervescence duquel il est si vivant de se plonger.
Il serait toutefois incorrect de ne pas préciser la contrepartie de cette heureuse stimulation. D'abord sa féroce chronophagie et l'énorme fatigue qui s'ensuit, dû au manque de sommeil. Ensuite, une sorte de connexion hypersensible au réseau, affective, trop sans doute, qui m'oblige à une mise à distance régulière, pour réguler ce qui ressemble à une dépendance, quelque chose comme la nécessité de ne pas manquer. Mais de quoi? D'une forme de visibilité peut-être (dans un monde où il est dit que chacun peut remplacer tous: comme quoi il n'y aurait plus de visages, seulement des tâches à effectuer qui nous préexistent).

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Voyage à Mazamet: le but est de prendre une photo qui existe en amont de la réalité. Prendre une photo qui existe déjà en ce qu'elle a changé ma vie dans le rêve de New York. Prendre une photo qui est une projection, une possibilité de la photo du rêve. 
Rêver devient un acte fondateur qui façonne la réalité au travers de mon consentement, de mon obéissance au rêve reçu comme une injonction.
Une injonction à écrire, à transcrire.
La question de ce voyage à Mazamet n'est pas celle du sens. Il ne s'agit pas de comprendre pourquoi ma mère serait, selon les dires du vieux du rêve, une mère lamentable. Il s'agit d'expérimenter ce que ça fait de prendre une photo qui existe déjà et qui pourtant n'est pas encore produite dans le monde.
Rêver serait un acte d'évocation si puissant qu'il créerait la réalité. Comment? Par le moyen de l'homme dans lequel il trouve à se loger, à se manifester en réalité.

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#MMERE
Dans les balises, la présence des lettres, des chiffres et des syllabes, tend à porter l'écriture vers une sorte de présence pure, dégagée de l'astreinte de signifier. Les mots qui les cernent, les phrases qui disent des choses, bornent et permettent cette présence désintéressée qui manifeste l'autre, l'ailleurs, l'indicible, le réel en somme, comme une foudre dans la nuit. Cette présence qui louvoie avec la question du sens, en cela qu'elle se passe d'exprimer quelque chose pour se manifester, est en lien direct avec M.E.R.E - 5 et avec la photo à faire à Mazamet.

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Si j'étais plus vieux, je dirais que j'ai le sentiment, à regarder autour de moi, à lire Kertész, que notre époque partage les mêmes valeurs qu'Auschwitz, à la manière du sport qui partage les siennes avec la guerre. La sublimation en moins, la bêtise et l'irresponsabilité qui s'ensuit en plus. Mais comme je suis inexpérimenté et veule, je me tais.

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Au dépourvu:

Mot à mot elle a retranscrit les couleurs assidues du crépuscule crucifié sur le bois de l'horizon. A peu de choses près, nous nous sommes meurtris. Et la vie a passé, elle a frémi quelque fois, puis elle a passé. Elle a dit, non merci. 

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J'avais faim.
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Dans cet espace nul qui sans cesse recule
          Plus sombre au verseau du néant
Ce néant auquel je faisais
allusion tout à l'heure
Et d'ici là vous n'aurez
même pas le temps
de savoir qui rit ni qui pleure.

Pierre Reverdy, Sable Mouvant, NRF, Poésie/Gallimard




1 commentaire:

Dominique Hasselmann a dit…

Beau montage photographique, à la fin, avec le chien aux deux colliers comme si l'un d'entre eux était cette autre photo coupée.