samedi 4 août 2012

185

Dans la nuit j'ai perdu consistance. Sous le regard de Joseph. Il m'a regardé m'épancher à la façon du sable entre les doigts d'un enfant. Je ne sais pas ce qu'il a ressenti. Peut-être une forme de compassion.




Longtemps j'ai cherché à disparaître. 




Rejoindre le tremblement des choses rêvées.

J'aurais voulu disparaître dans les signes, me fondre dans les caractères des textes lus, des textes écrits. J'aurais voulu être de ceux qui meurent et traversent éternellement le fleuve. 

Mourir dans la peau de mes personnages.




Mais la vie use même jusqu'au rêve de la fuite définitive. Les lointains les plus intimes ternissent sous les assauts des jours et des jours. Et l'on existe, respire, pèse, rit... On m'a reproché parfois de mettre à distance mes émotions. On m'a dit que mes textes étaient froids. Mais comment faire quand les émotions paraissent en soi une impudeur, un dérangement, une saloperie qu'il faut taire, un risque inouï? 

L'émoi m'emmerde tant il m'encombre et m'envahit au moindre prétexte.
Ma froideur est un aveu.

Clarisse jette un regard par dessus l'épaule. Joseph la suit de près. Il l'attrape par les hanches. Elle frémit, sourit, se fond dans l'élan amoureux. Il plonge sa bouche dans son cou tendre. Sarah se lève, elle proteste - Non! Non! Arrête! Elle les pousse pour que cesse l'étreinte. Ils rient. En deux temps trois mouvements, Sarah trône dans les bras de sa mère. 


Je me suis dissolu dans le rêve qui s'écoule
loin loin loin
du quotidien
des matières
des consistances
dans l'éther de la nuit
je me suis dépossédé
j'ai enfin trouvé le repos
dans l'air et les lumières.




Entre soi et soi il y a une disparition.

Joseph a vu lui, il a vu comment je suis devenu ce regard de lumière au fil de l'eau nocturne. Il m'a vu me confier à l'oubli avec une délectation qui révulse les gens du jour, les gens des choses, les gens de l'action et des idées arrêtées. 
Et Clarisse a regretté que je fuis dans l'air, dans l'éther, dans le vide et le silence. Elle a regretté que je ne m'engage pas dans la Cité, dans la politique, que je ne me libère pas de moi en m'engageant dans la liberté du monde. 
Et Sarah m'a pardonné. Elle se souvient encore, elle, du silence attendri du cosmos, de son amour pour ce qui n'existe pas.




Oui mais voilà, je suis là. Dans ce monde que je n'aime pas. On va me dire encore que je devrais l'aimer, ce monde, que je devrais me tourner vers autrui, vers l'homme... Je n'aime pas l'homme. J'aime le vide au coeur de l'homme, ce vide qui le fonde et dont si souvent il ne veut rien savoir. Je n'aime pas le monde. J'aime ce qui n'existe pas dans le monde. 




Oui mais voilà, j'y suis, je gravis les marches, je me retourne et voilà ce que je vois. Nos bouches, nos intestins, nos fluides... Et voilà que je ressens un attendrissement. Pour cela même, ce coin qui pue l'urine, ce coin de l'homme et de ses malheurs, de ses faiblesses.




Oui mais voilà, je suis déchiré, encore, comme nous tous, et je peine à fonctionner, je peine à faire l'homme.



Julien Boutonnier


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