mercredi 1 août 2012

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Il y a sur mon bureau un réveil dont la pile agonise depuis plusieurs mois. L'aiguille des secondes patine autour de la cinquantième. Elle ne parvient plus à boucler la minute. Pourtant, j'entends le tic tac retentir dans le silence quand je travaille. A en croire cet instrument, le temps passe mais le moment reste le même. Si je me défie de remplacer la pile, c'est parce que je vois dans cette trotteuse obstinée à marquer le passage du temps mais incapable de donner l'heure une image du travail d'écriture. Comme mon réveil fait entendre le temps mais n'informe pas sur l'heure, écrire témoigne du monde mais ne le renseigne pas. Il s'agirait de laisser poindre une présence, il s'agirait de ne rien communiquer. 

La nuit, Joseph parfois se lève et se poste à la fenêtre. Il observe la lune qui flotte au-dessus des toits. Et les tuiles blêmes qui pèsent en pente. Il lui arrive de se rendre dans le salon, de prendre le livre sur les grands maîtres de la peinture européenne et de regarder longuement le St Pierre du Retable de San Zaccaria de Bellini. C'est la manche de son bras droit qui fascine Joseph. Comme la lumière laiteuse du dehors absorbe la couleur mauve, presque nocturne, du tissu qui semble perdre sa consistance et devenir pure atmosphère. Sans qu'il puisse se l'expliquer, la vision de ce détail l'apaise. Il a l'impression que lui est donnée la grâce d'observer une apocalypse douce, un reflet de la fin des temps, une ébauche de la réconciliation finale.




Je cherche autre chose dans l'écriture. Cette autre chose n'adviendra pas. Sa nature reste de ne pas exister. C'est sa façon d'être au monde. On pourrait par exemple dire qu'elle s'interligne à volonté mais que jamais elle ne se glisse dans les mots. Elle les borde, elle les contourne, elle les accueille, elle les fuit mais elle n'y est pas: c'est autre chose. L'apocalypse, ce serait que cette autre chose soit au monde, qu'elle ne soit plus à venir: fin du tourment, fin de la béance, fin du désir. 
Comme si, un beau jour, le dieu nous disait d'aller faire dodo, que la récréation était finie, qu'on devait arrêter de bricoler.

Julien Boutonnier  

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