lundi 30 juillet 2012

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Quand il avait douze ou treize ans, Joseph faisait du vélo tous les soirs, l'été, après le repas. Il traversait différents lotissements de maisons toutes un peu les mêmes. L'air était chaud encore, la lumière dorée s'affalait dans les allées sans arbres. Des voitures garées le long des trottoirs se ressemblaient les unes les autres. Parfois il croisait une famille qui se promenait, parfois un couple d'adolescents enlacés contre un muret. Souvent, il ne voyait personne et se croyait dans une sorte de désert dont les dunes auraient été ces maisons récentes qui se regardaient les unes les autres, comme en un miroir aux multiples faces. A la façon d'une angoisse, un sentiment qu'il n'aurait su qualifier l'imprégnait doucement, au fur et à mesure qu'il roulait sur le goudron, dans un silence que paraphait le frottement des pneus. C'était un pressentiment sans objet précis, agréable et inquiétant à la fois, banal et merveilleux. Peut-être pourrait-on affirmer que c'était l'intuition d'une fuite, d'un mouvement, d'un écoulement. L'intuition que la vie était là, sans beauté particulière, intensément mate, pleinement donnée dans cette morne succession de lotissements et, en même temps, que cette vie n'était déjà plus, que le jeune adolescent roulait dans des ruines aux crépis rutilants, des bâtisses fonctionnelles dénuées de sens. 

Julien Boutonnier

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