dimanche 15 juillet 2012

173

Victor Grosset, face à Joseph: - Je continue de regarder du porno. Je continue de me masturber. Je continue de payer pour me faire des putes. Mais je suis plus tranquille. Je ne sais pas trop pourquoi. Ma situation est déplorable pourtant. Une interdiction bancaire me pend au nez. J'ai des dettes... En parlant ici, avec vous, je lève le voile. C'est comme si j'arrêtais de me cacher. Et ça me fait du bien. Je suis moins pressé de guérir. Je suis moins pris par le cul. Je n'ai pas arrêté non. Je ne me sens pas d'arrêter de toute façon. Mais j'ai plus de distance. Me masturber, regarder du porno, fréquenter les peep-shows, les putes, ça devient comme une formalité. Quelque chose que je dois faire. C'est moins excitant. C'est une façon de vivre... Je l'assume mieux. Est-ce cela guérir?
- Je ne sais pas. Il n'y a que vous qui puissiez le dire. Êtes-vous satisfait?
- C'est un grand mot. Non, je ne suis pas satisfait. Je suis soulagé, c'est différent...
- Oui?
- Il y a une collègue au collège, une prof de mathématiques... Des fois on se voit, pour baiser. On parle pas. On se retrouve dans un hôtel, on fait l'amour et on se quitte. On prend rendez-vous par SMS. Celle-la je ne la paye pas. 
Victor Grosset garde le silence un moment, son regard se perd dans le vide. Il reprend: - J'aime bien comme on fait l'amour. Elle a du répondant. C'est un peu comme un combat. Il y a de la violence et une forme de respect. Il y a de la violence mais pas d'agressivité. Une fois, au moment où on s'est quitté, j'ai cru décelé une larme dans ses yeux. Je n'ai rien dit. J'y pense souvent. Peut-être que je n'ai rien compris à cette femme. Laurence, elle s'appelle. Moi, chaque fois que je la quitte, je me sens nauséeux. Je ne vais pas bien. J'erre dans les magasins. Je traîne, le vague à l'âme...
- Qu'est-ce qui vous met dans cet état?
- Justement, je ne sais pas bien. C'est forcément lié à Laurence. 
Victor Grosset s'agite sur son fauteuil. Il souffle, transpire, pâlit: - Faut que je maîtrise... De dire ça, de le penser, c'est une souffrance, vous pouvez pas imaginer, j'ai l'impression que je vais me disloquer. Ah la vache! Je revois Laurence, ses seins, ses fesses... Comme elle se cambre quand je la pénètre... En fait, je me rends compte, là, maintenant, je n'y avais jamais pensé, elle me plaît beaucoup cette Laurence. Je suis amoureux peut-être. Peut-être que je l'aime cette salope. C'est drôle, je pense aux tartines de Nutella que je mangeais dans la cuisine quand j'étais enfant. J'adorais ça. Ouais, faut que je maîtrise. Payer c'est maîtriser. Mais pourquoi je pense au Nutella?
- Arrêtons-nous là voulez-vous?
- OK, c'est vous le doc. 
Victor Grosset pose une pièce de deux euros sur le bureau. Ils se serrent la main et se quittent.
Joseph s'assoit et griffonne sur une feuille: Nu tel a... la présence de Laurence, offerte et combative, sensible?, elle est là mais ne se laisse pas faire, il la veut et il ne la veut pas, il l'a et il ne l'a pas... le vague à l'âme qui s'ensuit. Quelque chose déraille dans ce qu'il pense être, dans ce qu'il dit être, dans ce qu'il croit être. Quelque chose autour du sexe gratuit, celui qu'on ne paye pas, question d'altérité... l'amour... La nudité vue comme une vérité qu'on soumet, qu'on achète... mais la vérité, nul n'en vient à bout. Pour chacun la vérité se loge selon sa structure... Nue telle l'a: telle Laurence, elle l'aurait, ce qu'il veut, elle aurait ce qu'il veut: c'est cela la fiction constitutive de son être autour de laquelle il souffre et se ruine et se prostitue en miroir des prostituées?

Julien Boutonnier

Aucun commentaire: