samedi 14 juillet 2012

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Victor Grosset est assis, face à Joseph: - Quand je vous ai quitté la dernière fois, je suis rentré chez moi tout de suite. En conduisant, je pensais à ce que j'allais faire: mater du porno sur le Net. J'avais des sensations dans le ventre, j'étais excité, mon sexe durcissait rien qu'à l'idée de voir des femmes nues. J'ai eu du mal à me retenir de me masturber dans la voiture. Je me sentais nul, je me sentais minable, mais une sorte d'euphorie me gagnait, une ivresse qui me poussait à ne pas écouter ma conscience. Dès que j'ai été chez moi je me suis jeté sur mes sites pornos préférés. Je me suis masturbé plusieurs fois. Mais ça ne m'a pas suffi. Je suis sorti, la nuit, et je suis allé voir les putes. Celles de l'Est qui bossent entre le canal et la voie ferrée. Je les aime bien. Elles ont la peau blanche. Elles sont jeunes. Pas trop abîmées encore... Quand je suis rentré, je me suis arrêté avec ma voiture, le feu était rouge, et là, j'ai explosé en larmes. Je ne pouvais plus m'arrêter. Et tout ce dont j'avais envie, c'était d'un gros câlin de ma femme... Voilà. 
Silence.
- Je suis malade... 
Silence...
- Et je m'excuse de vous avoir traité de con au téléphone. Je n'étais pas dans mon état normal. J'avais bu... J'étais trop malheureux.
Silence...
- Je veux m'en sortir. Et je crois que vous pouvez m'aider. Je suis prêt à faire des efforts, à prendre des risques. La psy, je n'y comprends rien moi, mais je vous fais confiance. 
- A quoi pensez-vous?
- A ma femme. Je suis un vrai con. J'ai tout gâché. Peut-être que si je lui avais dit la vérité, elle m'aurait aidé. Mais j'avais trop honte. Je menais une double vie. Je mentais tout le temps. Je lui parlais d'amis qui n'existaient pas, j'imaginais des soirées auxquelles je ne me rendais pas. J'allais voir les putes. J'avais un ordinateur portable secret. Spécial porno. Je le planquais avec les outils dans le garage. Au travail, j'avais des revues dans mon sac. Je les regardais aux toilettes. Je me masturbais pendant les récréations. Entre midi et deux heures, je visionnais des films dans ma voiture sur un lecteur DVD portable. Toute ma vie était orientée vers le sexe. 
- Vous faisiez l'amour à votre femme?
- Non! Jamais... Cela ne m'intéressait pas. Je l'ai délaissée très vite après notre mariage. 
Silence...
- Pour tout dire, j'avais tendance à vouloir reproduire avec elle ce que je voyais dans les films pornos. Elle n'aimait pas du tout. On s'est bien engueulé à ce sujet... Je regarde du porno depuis que j'ai douze ou treize ans... Je suis complètement imprégné par ça. La plupart du temps, je ne pense même pas qu'il peut y avoir d'autre façon de faire l'amour. Je suis obsédé. J'oublie que les femmes sont humiliées dans ces pratiques. Et surtout j'oublie que ce sont des acteurs que je vois dans les films. J'oublie qu'ils font l'amour pour une caméra. Qu'il y a un metteur en scène, ou du moins quelqu'un qui dirige, qui donne des instructions. J'oublie tout ça... Je suis happé par les images. C'est trop fort... C'est trop puissant. Ces images sont trop puissantes oui...
- Et les prostituées?
- C'est différent... 
Silence...
- Des fois, avec ma femme, je ne sais pas si c'est la honte qui m'a poussé à ne rien dire ou si c'est le risque de devoir changer quelque chose à cette vie que je mène. 
- Que vous menez ou que vous meniez?
- Ouais... Que je menais, mais que je mène aussi aujourd'hui. La seule différence, c'est que je ne le cache plus à ma compagne. Je vis seul maintenant.
- Nous pourrions nous arrêter là.
- Si vous pensez que c'est bien, je suis d'accord.
- Combien avez-vous d'argent?
- Là, sur moi?
- Oui.
Il regarde dans ses poches: - Deux euros.
- Cela fera l'affaire. Pourrez-vous m'amener deux euros jusqu'à ce que votre situation s'améliore?
- Oui. Merci.
- Au-revoir monsieur Grosset.
- Au-revoir. 
Ils se serrent la main.

Julien Boutonnier

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