jeudi 28 juin 2012

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Jérôme Burau, sur le divan: - J'ai failli ne pas venir... J'ai vécu deux jours atroces. Quand je suis rentré lundi, j'ai trouvé le silence chez moi: ma solitude. J'ai subi une angoisse folle, qui m'a submergé. J'ai mis de la musique à fond, du grind-core, une musique très violente, très rapide... J'ai allumé la télé pour que des images remplissent l'espace de mes yeux, de mon cerveau, que mon corps soit sollicité par autre chose que l'angoisse. Mais rien n'y a fait. J'ai manqué d'air. J'ai étouffé. J'ai plié mes jambes dans mes bras et j'ai respiré tout doucement, je me suis concentré sur mon souffle. Pour survivre je devais respirer le moins possible, prendre le moins d'air possible, me faire le plus petit possible... Je me suis endormi je crois. Dans la nuit j'ai ouvert les yeux. Je ne savais plus différencier le vrai du faux. Ma mère est l'enfant d'un inceste, d'un viol? Ma grand-mère s'est suicidée? Mon autre grand-mère est psychotique? Rosette a menti pendant quarante ans? C'est ça la vérité? Non... j'ai rêvé... Non... c'est vrai... Comment me construire quand je suis issu d'un cauchemar? D'un enfer? Je suis resté prostré dans mon appartement. Je voulais mourir dans le noir, loin du monde, loin du jour, loin des hommes... trop moches les hommes... trop horribles... J'ai pris un couteau, je l'ai posé sur les veines de mon poignet. Et j'ai pleuré. Et j'ai crié. Je sentais la bave couler sur mon menton, ça me soulageait que ça coule, je ne sais pas pourquoi, ça me faisait du bien... Je me suis barbouillé le visage, ça sentait ma bouche, j'ai lâché le couteau, je me suis recroquevillé et j'ai reniflé ma salive... La musique s'était arrêtée depuis longtemps. La lumière de la télé oscillait sur les murs sombres. Je me suis levé, j'ai attrapé des feuilles et j'ai écrit des lettres. Simplement les lettres de l'alphabet. Je les ai découpées. J'ai composé des mots sur le sol. Puis le jour s'est levé. Puis je me suis endormi sur le parquet. Quand je me suis réveillé, j'ai regardé le dernier mot que j'avais ordonné. C'était le verbe trouer
Silence...
- J'ai touché quelque chose. Comme si j'étais arrivé au bout. Mais ce bout ne serait pas un cul-de-sac, non, ce serait une ouverture... Mais une ouverture dans laquelle on ne peut pas passer. Ce ne serait pas un passage non. Cette ouverture, c'est un lieu devant lequel on se met à genoux, devant lequel on s'arrête, qu'on honore et qu'on soigne.
- Une ouverture qu'on soigne... dit Joseph en se levant, à vendredi?
- Oui... répond Jérôme Burau en se levant à son tour.
- Vous pouvez m'appeler si ça va trop mal. N'hésitez pas.
- Oui, merci... dit l'analysant en déposant un billet.

Julien Boutonnier

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