mardi 26 juin 2012

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- Mon grand-père a violé sa soeur pendant plusieurs années, a dit Jérôme Burau. Elle a eu un enfant de lui: ma mère, en 46. Elle s'est suicidée quand ma mère avait quelques mois. Mon grand-père est parti peu après. Il n'est pas mort à la guerre mais en Argentine, en 1983, des suites d'un cancer du pancréas. C'est la deuxième soeur, la benjamine, Rosette, qui a élevé ma mère, en lui cachant la vérité, en lui disant qu'elle était sa mère et que son père était un résistant fusillé par les nazis en 45. Ma mère a été à l'école dans des institutions pour enfants anormaux. Elle n'a jamais vraiment parlé. Elle a rencontré mon père dans un établissement de soin pour jeunes adultes, à Montpellier. Tous deux se sont aimés, ils se sont soignés l'un l'autre, ils se sont soutenus et ont finalement habité ensemble. Mais Rosette n'a jamais accepté que ma mère prenne son indépendance. Dès que je suis né, elle est devenue très intrusive, prétextant la moindre excuse pour s'immiscer dans le couple et  s'occuper de moi. Elle n'a eu de cesse de nier sa fille en tant que mère. Ni elle ni mon père n'ont eu la force de la mettre dehors, si bien qu'elle a pris le contrôle du foyer. Elle m'a élevé, chez elle, de 1 à 5 ans. J'avais oublié... Je rentrais chez moi pour les vacances. Après elle n'a plus voulu de moi parce que j'étais très agité. Je suis retourné chez mes parents dont l'état s'était considérablement détérioré. Ma mère avait sombré dans la dépression et mon père s'était enfermé dans la construction obsessionnelle de ses maquettes. Ma grand-mère, enfin... Rosette, est morte il y a quelques mois, elle était presque centenaire. J'ai senti un changement chez mon père. Il m'a appelé plusieurs fois pour prendre des nouvelles. Il ne faisait jamais cela auparavant. J'ai eu beaucoup de difficultés à accepter cette attention que me portait soudain cet homme à l'ordinaire si absent, si indifférent. C'est à ce moment que j'ai commencé le travail avec vous. C'est lui que je suis allé voir vendredi. Il m'a tout expliqué. Ma grand-mère, Dieu sait pourquoi, avait écrit une lettre où elle expliquait la vérité sur ma mère. Mon père l'a trouvée chez elle, dans un tiroir, peu de temps après sa mort. Elle datait de 1983. Probablement l'a-telle écrite après la mort de son frère en Argentine. Elle l'aura remisée dans ce tiroir puis oubliée. Bizarrement, elle était adressée à elle-même. Sur l'enveloppe, elle avait marqué son propre prénom. Mon père n'a rien dit à ma mère. A moi non plus d'ailleurs. Il ne savait que faire de cette révélation, jusqu'à ce que je vienne poser des questions. Maintenant, il reste à dire la vérité à ma mère...
Silence...
- Je me demande quelle place je dois prendre ici... 
- Oui, est-ce à vous d'assumer une telle parole?
- C'est horrible... 

Julien Boutonnier 

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