lundi 25 juin 2012

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Jérôme Burau: - Je vous remercie de me recevoir en catastrophe... Je suis allé chez mes parents vendredi dernier... 
Sa voix tremble, son souffle est court, il peine à parler.
- Je voulais savoir... mon grand-père... J'ai erré tout le week-end...
Silence...
- Merde... (chuchoté)
Silence...
- Non mais c'est pas possible... (chuchoté encore)
Silence...
- Mes parents habitent à Sète. J'aime bien cette ville.
Silence...
- C'est pas ça qui importe... Mais comment le dire? C'est un fait que je peux énoncer simplement. Mais c'est impossible que je le reconnaisse. Impossible...
- Oui?
- Je ne peux pas.
Il pleure à grosses larmes.
- Je ne peux pas le dire... Depuis que je sais, la phrase tourne dans ma tête et pourtant je ne peux pas le dire. J'ai l'impression que je vais mourir si je le dis...
- Nous avons le temps...
- Je me suis promené.... J'ai marché... Je suis allé voir les flamands roses sur l'étang de Bagnas. Et puis j'ai longé le canal du midi... J'ai dormi dans ma voiture, aux Onglous. Je me suis réveillé dans la nuit. Le vent est  tombé. Et puis il a plu. J'ai fumé en écoutant les gouttes tambouriner sur le toit. L'averse a duré un moment. Après je suis allé au bord de l'eau. L'herbe sentait... Cette odeur de la terre m'a plu. Je l'ai respirée à pleins poumons. J'ai marché jusqu'au phare sur le petit chemin qui s'avance dans l'eau. Je me suis assis au bout. Il y avait une brise salée qui me caressait le visage. J'ai fermé les yeux. J'ai posé mes mains à plat sur le sol. Et j'ai pleuré. J'étais seul. J'étais enfin seul. Je savais. A cet instant j'ai pesé sur la terre. Personne ne le sait mais j'ai fait quelque chose d'important, j'avais une consistance, j'ai existé je crois. J'ai existé devant le vide qui  souffle sur l'eau. J'aurais au moins fait ça dans ma vie, une fois...
Silence...
- Et j'ai regardé le jour commencer...
Silence...
- En fait je n'ai rien mangé depuis 48 heures. C'est pour ça que mes mains tremblent... Ma vue se brouille aussi...
- Voulez-vous aller vous restaurer et revenir dans la journée?
- Ah oui...
- Revenez vers 17h...
- Oui merci... Je vous paie?
- Non, vous me paierez tout à l'heure...

Julien Boutonnier 

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