samedi 9 juin 2012

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La quatrième séance, Joseph avait les traits tirés. Il s'est écroulé sur le divan:
- Je n'arrive plus à étudier. Je n'arrive plus à lire une ligne. Les mots dansent dans ma tête... Je n'arrive plus à me concentrer... Aujourd'hui je suis allé à la bibliothèque pour travailler. A l'ordinaire j'aime cet endroit. Je me suis assis. J'ai regardé mes mains posées sur le bois de la table. Elles tremblaient à peine... Je me suis demandé quel rapport... entre moi et ces mains étranges, ces choses... quel lien y avait-il? J'ai senti l'angoisse refluer dans mon thorax... Je me suis levé en faisant un effort terrible pour ne pas tituber, j'ai traversé la salle et me suis rendu aux toilettes. Je m'y suis enfermé et là j'ai pleuré, j'ai pleuré en me mordant les doigts pour qu'on ne m'entende pas, j'ai pleuré comme je n'avais pas pleuré depuis la mort de ma mère, quelque chose à craqué en moi... Je me suis senti emporté... Je ne maîtrisais rien... C'était affreux...
Silence...
- Depuis je me sens comme mort. J'ai l'impression d'avoir la même présence qu'un caillou, qu'un tronc d'arbre... J'ai erré dans le quartier avant de venir ici... Je suis comme un reste, quelque chose qui traîne, qu'on a oublié... 
Silence...
- Je pense beaucoup à la mort. 
Silence...
- J'envie les natures mortes, les choses des règnes minéral et végétal... Le silence qui est propre à ces matières... Je les imagine comblées, à leur aise... sans tourments, dans leur épaisseur, dans leur cécité, leur mutisme... 
Silence...
- Je me souviens, j'avais six ou sept ans, mon père me prenait avec lui à la pêche. Il ne parlait pas. Il regardait la rivière. Moi j'avais le droit de faire à peu près tout ce que je voulais, sauf le déranger... C'étaient de bons moments... En fait, ce n'est pas de ça que je veux parler. Je...
- Oui?
- J'ai oublié.
Silence...
- Je suis si malheureux!  
Il s'effondre, pleure toutes les larmes de son corps, durant plusieurs minutes.
- Je me souviens ma maman, comme elle se mettait à genoux devant moi pour arranger mon pull, mon écharpe et le col de mon manteau, avant d'aller à l'école... 
Il pleure.
- Je crois que d'aimer Clarisse ça me ramène à ma mère, à son absence, à cet amour que je n'ai plus...
- Oui, a affirmé M. Rentard, à vendredi?
Joseph s'est levé en hochant la tête de haut en bas.

Julien Boutonnier

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