vendredi 20 avril 2012

99

Elle arriva la première. Elle choisit une table qui jouxtait les baies vitrées parce qu'elle était lumineuse et suffisamment éloignée des autres pour mener une conversation  intime. Elle s'assit de sorte à observer les entrants. Qu'elle le voie dès son arrivée, qu'elle le cueille tout de suite tandis qu'il la chercherait du regard. Elle aurait le loisir, ne serait-ce qu'un instant, de le scruter pour se faire une idée de ses intentions. 
Une minute passa. Elle commanda un thé, considéra les piétons nombreux dans la rue commerçante, laissa traîner son regard à la surface des choses, sans but précis. Ses mains posées sur la table tremblaient comme deux petits animaux frileux.
Elle remarqua Joseph qui attendait de l'autre côté de la voie. Il la regardait. Depuis combien de temps? Elle se sentit comme un poisson dans un bocal. Il lui fit signe de la main, geste un peu vague, incertain, comme d'un fantôme, puis la rejoignit en toute hâte, manquant se faire renverser par une voiture.
Il passa le seuil, marqua un temps d'arrêt, hésita. Clarisse aperçut ses yeux, d'où la détresse la plus enfantine dardait ses rayons poignants. Un goût envahit sa bouche, qu'elle aurait été en peine de définir. C'était, transposé dans les sens, l'équivalent d'une décision. Son corps acquiesçait à la présence de cet homme, à cette venue de Joseph dans sa vie. Que ce soit pour une minute ou pour cinquante ans, peu importait. L'instant emportait tout.
Joseph s'avança. Sur son visage passèrent des ondes troubles, des plis recelant l'ombre d'une peur sans nom. 
- Bonjour, dit-elle en le regardant s'asseoir. 
- Bonjour, répondit-il froidement, pardon, je suis en retard.
- Non, pas du tout...
Le garçon servit le thé, prit la commande de Joseph - un café- et s'éloigna vers le comptoir. Il y eut un silence éprouvant. Il planta son regard dans ses yeux, sans oser une parole, avec une certaine arrogance.  Elle y devina un sentiment hargneux, logé dans la faille qui la séduisait encore. 
- Vous me reprochez quelque chose?
- Vous me dérangez. 
- Pardon? 
- Vous n'y êtes pas pour grand chose j'imagine. Vous me gênez... 
Clarisse se leva, laissa un gros billet sur la table.
- Vous êtes un con.
Et elle partit.
Joseph regarda l'argent en se demandant de quoi elle pouvait bien le gratifier.

Julien Boutonnier