mercredi 18 avril 2012

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Joseph entreprit de pratiquer un sport pour exorciser le mal, comme il le disait lui-même. N'ayant aucune expérience dans ce domaine, il choisit l'activité qui lui parut la plus simple, la plus accessible et la moins onéreuse: le jogging. Bien que depuis toujours il ait méprisé les joggeurs, et plus particulièrement leurs accoutrements selon lui parfaitement ridicules, indignes d'une civilisation qui produisit des génies tels que Giorgione, Rabelais ou encore Ibsen, il se rendit sur une coulée verte pour en fouler la piste. Il commença fort, très fort, rageusement, espérant par son effort expulser l'image troublante de Clarisse, comme si celle-ci eût pu s'écouler avec la sueur de son corps. Malheureusement, au bout de deux cents mètres, un point de côté virulent le contraint à s'arrêter. Hors d'haleine, le visage écarlate, il s'appuya contre un arbre pour reprendre son souffle. Un enfant sur son tricycle le regardait non loin de là. Il ouvrait de grands yeux sévères qui exprimaient l'incompréhension et le dédain. - Quoi? Qu'est-ce t'as? lui lança Joseph furieux. Le petit haussa les épaules et reprit son chemin en silence. - Casse-toi ouais! ajouta-t-il en posant son front contre l'écorce de l'érable. Il considéra ses jambes blanches et poilues qui lui semblèrent misérables, nues sous ce vieux short de tennis jaunâtre retrouvé au fond d'un tiroir. De petites larmes lamentables perlèrent au coin de ses yeux. Il rentra chez lui en évitant de se regarder dans les miroirs et les vitrines. 

[A suivre...]

Julien Boutonnier