lundi 16 avril 2012

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      Dans la soirée, Clarisse demanda à son hôte, Kelly, une connaissance de l'université, des informations sur cet homme. Elle n'avait pas eu le temps de lui parler puisqu'il avait subitement fui les lieux de très bonne heure. Elle apprit qu'il s'appelait comme nous le savons et qu'il participait à un groupe d'étude en anthropologie dogmatique avec Jonathan. C'était à ce titre qu'il avait été invité à la fête, Jonathan étant le petit ami de Kelly. Cette dernière, devinant le béguin de Clarisse, la dissuada de tenter quoi que ce soit auprès de Joseph sous prétexte qu'il ne pensait qu'à ses études, vivait comme un moine et ne s'intéressait pas aux femmes. A Clarisse, ce portrait janséniste parut romantique et charmant.
   Elle et Joseph ne se revirent que neuf mois plus tard, au cours d'une conférence donnée par un ami commun, Brandon, sur "Les deux corps du roi" d'Ernst Kantorowicz. Comme Joseph était accompagné de Jonathan et Kelly, Clarisse profita de l'occasion pour le rencontrer. Elle les salua et les suivit au café où elle subit de longues conversations portant sur les dispositifs législatifs des royautés moyenâgeuses desquels seraient issus les montages dogmatiques de nos Etats contemporains. 
    Elle se convainquit, au comportement de Joseph, que Kelly avait raison. Ce type n'avait de désir que pour l'anthropologie chère à Pierre Legendre. Elle quitta la petite assemblée au bout de deux heures, abandonnant Kelly qui subissait, comme elle, quoiqu'avec plus d'opiniâtreté, les échanges savants des deux universitaires. 
    Elle éprouvait de la tristesse. Elle n'avait pas envie de se faire une raison. Son attirance ne se démentait pas. Mais Joseph ne l'avait pas regardée une seule fois. Il n'avait répondu à ses questions que du bout des lèvres, lapidaire et gêné. Qu'aurait-elle pu espérer? 

[A suivre...]

Julien Boutonnier

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