samedi 14 avril 2012

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     Car ce qu'il y avait là de si irrésistible pour elle tenait à la nature paradoxale de son désir.
    Quand elle aperçut Joseph dans cette soirée, qu'elle devina cette faille énigmatique qui se manifestait dans son regard, elle éprouva violemment le désir de l'attirer à elle, de le combler, de le sauver, de l'aimer jusqu'à la complète résolution de cette déchirure. Qu'il soit, grâce à elle, tout à fait présent, soudé à lui-même, libéré du moindre conflit intérieur : heureux. Elle pressentit, avec une limpidité d'eau de source, qu'elle jouirait du bonheur de Joseph bien plus que du sien propre, pour autant qu'elle en soit la cause.
     Mais son désir, s'il était solaire, avait aussi une dimension sombre, voire masochiste. Pour des raisons que nous ne pouvons pas dévoiler pour le moment, inhérentes de tout évidence à son histoire et particulièrement aux premières années de sa vie, Clarisse était attirée vers des hommes fantomatiques, aux allures spectrales, aux visages absents, qui tous montraient de très certaines dispositions à la lâcheté. Elle n'aurait jamais supporté qu'un homme soit entièrement acquis à la cause de son plaisir et de sa jouissance et, pire, qu'il jouisse lui-même d'être son amant, soit contenté par elle et assume son sentiment en s'engageant à ses côtés. Un tel amour l'aurait mise en danger. Il l'aurait rendue folle de rage.

[A suivre]

Julien Boutonnier   

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