mardi 10 avril 2012

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     Il y a longtemps maintenant que Joseph fut mutilé. Une plaie béante fonde sa personne. Joseph a appris à vivre comme cela, sur un gouffre, sur une douleur, sur une déchirure. Parfois des lumières peu communes irradient de la blessure, des révélations singulières, des sentiments poétiques, mais rien n'en reste quand sourd à nouveau la souffrance.
     Joseph demeure écorché, non pas face à l'incompréhensible mort de sa mère à l'aube de son adolescence, non plus face à ces trois mots qui le hachèrent menu - "Maman est morte" - quand son frère vint le chercher à l'école, mais devant l'amour.
     Chaque fois qu'il s'abandonne à son sentiment pour Clarisse, son cœur se serre, son esprit s'embrume. Une voix crie de terreur : - Non! Non! Ne me laisse pas! Je vais crever! C'est une voix de l'enfance, la voix du petit tout, du petit dernier qui reste suspendu à cette absence de la mère sans pouvoir se faire une raison.

Julien Boutonnier

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