samedi 28 avril 2012

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En pleine guerre Iran-Irak, le samedi 29 mai 1982, aux alentours de 13h, Joseph, alors âgé de sept ans,  mangeait des frites avec ses doigts quand sur TF1 on annonça la mort de l'actrice Romy Schneider, deux mois à peine avant le suicide de Patrick Dewaere. C'était l'habitude chez les Hérald de manger des frites le samedi midi. Monsieur Hérald, Georges de son prénom, en avait la charge et s'en acquittait fort bien. Il portait haut la moustache, travaillait dans l'administration fiscale, se disait socialiste, cultivait le potager de son beau-père le week-end et lisait le soir son journal en jetant de temps à autre un œil furtif à ce qui se passait dans sa maison. Il fumait comme un pompier, tout comme l'actrice de La piscine - jusqu'à trois paquets par jour. 
Homme retranché dans son silence, Georges Hérald fut pour Joseph, durant toute son enfance, un repère brumeux, une énigme permanente, un phare lointain, une présence tendue, nerveuse, potentiellement violente, incompréhensible... A l'âge adulte, son intérêt pour la psychanalyse ne sera pas peu causée par cette figure paternelle au combien opaque, pour laquelle il éprouvera longtemps une fascination sans mots, comme sous hypnose, comme on pourrait l'être devant quelque chose de proche et d'inaccessible à la fois, qu'on ne pourrait ni rencontrer, ni quitter, quelque chose comme un fantôme, la persistance d'une impression oubliée, une trace impossible à identifier.

Julien Boutonnier