samedi 3 mars 2012

25

09h31
Sarah rit. Sarah pleure. Sarah marche en haussant les épaules. Sarah est âgée de dix-huit mois. Sarah lève les bras et tourne sur elle-même une fois. Sarah court dans le salon et glousse de plaisir. Sarah pleure. Sarah tape dans ses mains au rythme de la musique. Sarah tombe et se relève. Sarah regarde ce que recèlent les tiroirs, elle recense leur contenu et l'abandonne sur le parquet. Sarah se love contre l'épaule de Clarisse et s'apaise toute entière. Sarah souffle sur ses doigts écartés. Sarah dit non à Clarisse, elle veut faire toute seule. Sarah appelle Joseph, juste pour s'assurer qu'elle n'a pas rêvé, qu'ils existent tous deux bel et bien. Dans les yeux de Sarah luit la nuit des origines comme une peinture pas sèche encore sur le portail d'un jardin. Sarah rit. Sarah tourne les pages des livres. Sarah aime beaucoup les livres et les images. Sarah est au monde, de plus en plus. Sarah connaît le nom de certaines choses: poire, patate, cuillère, Elmer (l'éléphant bariolé) - elle nomme en montrant du doigt. Nombre de noms connaissent Sarah depuis très longtemps; cachés dans le silence, ils la guettent et l'agrippent au passage; Sarah se laisse faire, elle est plutôt conciliante avec la langue française. Sarah est bien sage quand Clarisse lui coupe les ongles de la main. Sarah s'agite beaucoup quand Clarisse lui coupe les ongles de la main. Sarah tape du poing sur la table parce qu'elle a faim. Sarah commence à comprendre sa faim, elle saisit un peu que son bien le plus précieux consiste en cela. Clarisse et Joseph partagent leur faim avec elle, ils lui en parlent, ils en témoignent jour après jour. Par ce biais, ils essaient de briser les dieux qu'ils représentent pour Sarah, et de lui donner goût à l'exercice de la liberté: cet inachèvement du désir: cette faim, infinie.

Julien Boutonnier   

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