vendredi 14 novembre 2014

482 - LIVRE-AVRIL - 14 (Provisoire)






          14






          visage       d’à peine un bruit      
       éphémère      



le poème à venir IStanbul sera donc une frontière
non pas une frontière entre un avant et un après
non pas une frontière entre un lieu et un autre 
mais une frontière qui saille dans l'impossible 
je veux dire : dans le désir et sa loi

car seule une lettre
est frontière en soi 
sans nécessité de se rapporter 
 à quoi que ce soit

seule une lettre saille dans l’impossible 
de telle sorte qu’on puisse y achopper et
provoquer le trébuchement nécessaire
à l’apparition du visage



          pour une voix  :      – 
               rode      
               rien _ à ne pouvoir le dire      j’en
      désire       : 




          il disait, 
tu sais qu’une frontière est une maladie, c’est à dire un idéal classique de tempérance et d’éloquence
          il disait, 
il suffit de s’alanguir une poignée d’heures pour qu’adviennent sur la jonchée vacante bribes et tessons de frontière : quelques termes remontés jusqu'aux organes : corps malade creusé de lisières aux épaisseurs cristallines et muettes
         il disait, [en levant la main comme si elle avait été saisie par un oiseau qui aurait chercher à l’emporter dans les nuées, plusieurs fois, s’acharnant]
je reste là / 
j’attends que deux fois la mort entende ce que je dis une fois /
la mort est une bienveillante et fort efficace interprète de nos paroles / 
ce miracle étrange quand on constate / 
après des siècles et des siècles de présence humaine / 
un corps à l’œuvre sur la frontière / 
dans la profondeur la plus classique / 
où s’épaissit le mystère du livre-avril / 
où correspondent les domaines et les champs anciennement clivés
[en peignoir dans son bureau, il me parlait nuit après nuit de sa conception de la frontière ; je percevais dans les menus détails de ses manières délirantes et pondérées quelque chose de l’abîme qu’il logeait suite à cette décision, prise bien des années auparavant, selon laquelle il consacrerait son existence à l’étude du visage humain contemporain. comment en était-il arrivé à cette idée qu'aujourd'hui l’homme et la femme étaient eux-mêmes une frontière, apatrides et isolés parmi leurs semblables, en conflit avec tous et surtout avec eux-mêmes ?]
          il disait, 
une frontière pense avec le corps malade, elle s’envisage dans les symptômes, dans les manifestations pathologiques d’une raison appliquée à comprendre le monde avec les seuls outils de l’observation, de l’expérimentation, dans le cadre d’une méthodologie scientifique éprouvée ; ce tracé-sentiment législatif, qui sépare un territoire et des hommes et des femmes, trouve une expression véritable dans l’irritation des organes, dans l’infection des tissus, dans l’infestation microbienne du corps ; considérons un paysage de Poussin, un coucher de soleil du Lorrain, nous ne pouvons pas ne pas remarquer que la frontière y est mise à nu, dévoilée sans fard, avec une extrême cruauté, par le biais d’une maladie extraordinairement virulente. 
[il partait parfois d’un rire aigu, hoqueteux ; j’avais la sensation que ce rire se logeait dans mes tripes pour en forer la tresse et atteindre le grand vide silencieux qu’on appelle un ventre ; et puis il reprenait le fil de son raisonnement auquel je ne comprenais pas grand chose, si ce n’est qu’il témoignait d’une position subjective parfaitement sérieuse, esthétique et engagée]
il disait, 
un corps malade, alité, diminué, est un soleil couchant à son écarlate le plus féminin, c’est une composition tout en équilibre : un avril arrêté dans sa perpétuelle transformation ; un corps malade est une clairière surgie dans la déraison, un ajour dans la cloison d’à l’ordinaire : cette percée de la pensée à travers les superstitions et les fables. c’est pourquoi le siècle français trouve une image pertinente de son génie dans les diverses formes de la maladie, mentale ou physique. avril se trouve être une expérience de la frontière, en tant qu’elle ne peut être assimilée à un événement. il est impossible qu’avril trouve une clôture à son sens, il est vain de vouloir prêter un visage définitif à l’avril, à la frontière d’avril : le corps malade n’en est qu’une face provisoire, épisodique et hasardeuse. Une errance de la pathologie dans le fin liseré d’une signification fugitive.



                  et puis tes bras      pétris
          veux-tu ce ravin qu’on le jette à la vie





des yeux jetés dans l'automne essaiment et désirent une lumière aux bras nus sous la sève assoupie revenir sous les bris de l'été dans ta lueur océane et la danse qui jonchent l'herbe mémoriale ô mon frère tes épaules sont des plaines immenses mes douleurs s'y perdent et le vent l'hiver sur les longues femmes aux longues bottes recèle les cris des ombres pâles ô mon frère tes mots m'ont arraché au miel de l'enfance tes mots m'ont ouvert jusqu'au grand nerf et les longues femmes dans l'hiver portent les étincelles le peu du feu dans les plaines froides 
le vertige lent d'un cratère fait mon corps














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