jeudi 28 mars 2013

330 - peut(-)être un journal

Ici bas, je ne suis guère saisissable car j'habite aussi bien chez les morts que chez ceux qui ne sont pas nés encore, un peu plus proche de la création qu'il n'est habituel, bien loin d'en être jamais assez proche.

Paul Klee

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Au dépourvu:

La pluie lasse le gué vers nos liens, laisse la cendre luire sur la route. Nos mains creusent dans les choses de loin. Un peu de paix courbe dans l'air déporté du vent des voitures, niche entre les doigts de ta patience en sous-bois. 
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#MMERE

En écrivant la balise F (0,M), je comprends que la soupe que me tend le vieux dans le rêve est sans doute la soupe de quelqu'un d'autre. Les miettes au fond attestent qu'on y a trempé des tartines. Tout m'enjoint, dans l'intuition, à considérer que ce breuvage est celui de la morte. Comme un dernier repas. Ou comme une soupe empoisonnée, la pomme de blanche-neige peut-être. Que représente boire ce poison? Que représente ce breuvage dans lequel ma mère aurait trempé ses dernières tartines? Serait-ce une sorte de testament, une image (du genre: mourir, c'est boire la tasse...), un objet de transmission?

Le ridicule de l'expression : Ses dernières tartines.
Avant de mourir, son souhait fut de tremper des tranches de pain grillé dans une soupe miso. Ce furent là ses dernières tartines. 

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Vacanche matin:
La durée mate du jour, dans l'absence tranquille des voitures, lumière diffuse qu'un crêpe de nuages filtre jusqu'au murmure, l'espace chuchote, les flèches au sol, à moitié effacées, indiquent des chemins désencombrés, vacants, aux sourires monalisiens. Je vais vers l'achat de croissants.

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Rêve:
proto-publicités de Lindt et Vache qui rit: des enfants en blouse et masque sous le bras beuglent des slogans dans les prairies et les alpages en compagnie d'un bestiaire épouvantable.

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Eduquer nos enfants à traverser la catastrophe.

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#MMERE

J'ai fait le voyage à Mazamet. Reste à laisser aller l'écriture en vue d'un récit sans doute très onirique.



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Lecture de C. Dugot Duvauroux, Le vent chaule suivi de l'Herbe écrit chez José Corti.

Ce texte cause une soif terrible. J'ai envie de sucer ce texte, de le manger jusqu'à ce qu'il n'en reste rien. C'est un désir que produit cette écriture: désir de goûter ces mots jusqu'à satiété, cette singularité d'une langue, cet essort constant de combinaisons de mots uniques vers le dire autre.

un sanglot pour ressac au déchant d'amitié sous le plain chant du deuil une brèvE
et l'idée ploie sous l'élémenT
le seuil veuf et puis le caractère seul traversanT
p64


gorge

et la lumière s'émiette à braise d'oeil et crépite

nuit

vient le matin tomber la neige tombent
ceux qui nous aiment

croule un bécasse

figés d'absence il neige lourdement

p24

*

La poésie est un échec aux yeux de chat.

La poésie est une venelle de nuit sous la table de bleu.

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Aujourd'hui, je me surprends à délaisser le savoir. Ce qui s'ensuit, c'est la poésie, à lire, à écrire, comme atelier de vie où séjourner entr'heures, comme outil d'habiter le monde et la peau, comme revenu minimal du sentiment d'existence (RMSE, quelle circulaire?).

*


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dimanche 24 mars 2013

329 - F (0,M)











F (0,M)


J'ai entendu l'ambulance. Et puis seul en ce. Eul'enceux. Les fleurs j'ai vu ont fané. Non. J'ai été seul en ce. Eul'enceux. J'ai pris vers la cuisine. J'ai jeté les yeux. Je crois que j'ai pleuré sans les yeux. Je n'ai pas compris. Qu'on m'a laissé mort. 6. J'ai tenu une soupe. J'ai vu deux morceaux de patate sous le peu. J'ai faim, a dit quelqu'un. Ta gueule, a dit quelqu'un. J'ai vu. On s'est foutu dessus. J'ai été seul en ce. Eul'enceux. Je n'ai rien dit. J'ai eu peur. Les yeux je les ai jetés. Non. Je crois que j'ai pleuré. Je n'ai pas su. E. 9. Le vieux m'a tendu la soupe. Je l'ai vue. Une mort a regardé dans ses yeux. On n'a rien dit. J'ai vu des miettes de quelqu'un j'ai vu au fond du bol. J'ai pensé que la mort d'un autre. Mais j'ai bu. Je n'ai pas compris. Je n'ai rien dit. J'ai été seul en ce. Eul'enceux. Donne-la moi, a dit quelqu'un. Je crois que j'ai dit après. Après quoi, a dit quelqu'un. Après l'ambulance je crois j'ai dit. 0. On m'a cogné. Après, j'ai dit. Je n'ai rien dit. J'ai été seul en ce. Eul'enceux. Sous le peu je les ai vus. Les yeux au fond. Les yeux du vieux une mort dedans. Non. Je crois que j'ai bu. La mort j'ai bu la mort d'une autre. Dans l'ambulance je suis parti mais sans moi. On m'a pas pris j'ai été seul dans un sud seul en ce. Eul'enceux. M. 4. Je suis resté près des yeux près des patates sous le peu. Je crois j'ai pleuré. Je n'ai pas su. Les miettes c'était mes yeux les fleurs fanées. Je me suis assis dans mes yeux fermés. Non. J'ai été seul en ce. Eul'enceux. 1. 1. J'ai pris vers une soupe. Vers des yeux je les ai jetés. 0. R. J'ai bu ce qui a vu du vieux. Mes yeux ont fané vers moi. Non. E. 9. 

















Soit un repère orthonormé. Soient assignés à l’axe des abscisses les huit chiffres de la date de ce jour précis où la mort de ma mère n'a pas eu lieu dans ma vie. Soient les quatre lettres de l'acronyme assignées à l’axe des ordonnées. Soit un système de coordonnées dans lequel le territoire du vide se trouve momentanément lié, ligoté, relié à un ordre arbitraire, tel Isaac ligaturé par son père Abraham sur l’autel du sacrifice. Soient les balises référencées dans ce repère, accolées à une lettre et un chiffre. Soient les balises groupées dans un ensemble de trente-deux éléments. Soit l'alphabet polonais, l'alphabet du pays des Plaines, comprenant justement trente-deux lettres, pour nommer les trente-deux balises. Soient trente-deux entrées dans le vide de ma mémoire. Soit un cryptogramme possible que le vieux me tatoue sur l’avant-bras dans le rêve.  

Structure d'une balise : Les Camps - Le non-événement - Le rêve de New-York

Amorce
 de la balise F (0,M) : Boire la soupe du camp – boire la soupe en brique seul dans la cuisine – boire la soupe miso du rêve



M.E.R.E, Les balises, F (0,M), mercredi 20 mars 2013

mercredi 20 mars 2013

328 - Voyage à Mazamet







Notes de voyage en vue d'un récit amati - 1

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Il me fallait un jour pluvieux, du moins sans soleil. Le vieux du rêve de New York lit en effet une photo qui est un paysage flou, humide, avec des murs et des cyprès. J'avais choisi ce mercredi 20 mars parce que la météo avait prévu des averses sur Mazamet. A Toulouse, au moment du départ, il pleuvait, c'était bien. 




Le rêve a infiltré le monde. Je l'ai senti. Comme en un lieu hypnagogique, sur la brèche, entre veille et somme. J'ai flotté moi aussi, j'ai pris la route, j'ai conduit parmi les signes à même le songe, parmi le simple espace où les choses déroulent sans façon l'intempérance obtuse de leurs consistances. 




J'ai mis de la musique.




Et j'ai passé le seuil. Je me suis engagé vers cette photo du rêve, cette photo qui n'existait pas encore. Je ne savais pas à quoi m'attendre. J'allais vers l'inconnu dans ce pays si familier, où mes parents ont grandi, où mes vacances furent heureuses. Mais le rêve avait eu lieu. Rien n'était plus pareil. Un vieux dans mes songes avait affirmé que ma mère était lamentable, qu'elle ne disait jamais rien, qu'elle n'était pas une mère. Il l'avait lu dans une image. J'allais vers cette image. Vivre cette image, m'immerger dedans. Je prenais la route vers l'intérieur. Dans le pays de mon coeur. Dans l'image de mon coeur nocturne. Au coeur des pixels de ma scène d'ombre. 




Je me suis inséré dans le convoi nébuleux des mots et des associations. Je me suis infiltré parmi les véhicules du rêve. Mon corps s'est diffusé dans l'habitacle du rêve. Je me suis absenté dans ma propre présence. Qui a conduit? Quel hôte a pris le relais? Qui a vu par la jonction de ma pupille? Qui se souvient? Je ne me souviens de rien.




J'ai cherché le rêve et je l'ai trouvé dans sa pleine mesure. Il m'a pris la main. Il m'a guidé dans l'innocence de la couleur, dans la cruauté des tendresses innombrables qui depuis quelques jours seulement osaient frémir d'aise dans les pétillements de l'atmosphère. Il y eut des chemins brefs - leurs voix m'enchantèrent et leurs récits me donnèrent courage. Je me suis marié avec une flaque au tournant, elle m'a parlé de son pays d'origine. J'ai été conquis. Mais ça n'a marché. J'ai manqué de soif, de ce cri ardent qui m'écartèle aux meilleurs jours. 




On m'a conduit à travers la plaine. J'ai traversé les vents aux yeux livides. J'ai vu les déportés mourir comme des bêtes. Je les ai vus dans les champs, allongés dans le peu de vie, dans la parcelle brève de leurs derniers expirs. J'ai crié. Je me suis jeté contre la fenêtre. J'ai dénoué mes veines pour qu'ils s'y accrochent. J'ai laissé le sang déclamer les essors vivants. Pour rien. J'ai vu les corps laisser leur pouls aux oiseaux. Combien d'ailes n'ai-je compter dans la profondeur acérée? Mais j'ai laissé les morts à l'indifférence des arbres. Mais j'ai continué mon chemin.


A suivre... 









M.E.R.E - Voyage à Mazamet- notes en vue d'un récit amati - mercredi 20 mars 2013

vendredi 15 mars 2013

327 - peut(-)être un journal

Voilà demain.

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La neige, c'est le silence qui dégueule. Je n'aime pas voir la ville souillée par ce vomi calme. Je ne vois pas de poésie dans cette épaisseur de crasse pure. D'autant que je déteste sa froide haleine de mort et ce crissement sinistre qui retentit quand on la foule. La neige est cette macule immaculée qui m'attriste au combien. Et dire qu'en certains endroits il y en a d'éternelles. 

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Peut-être les grandes douleurs ne sont-elles pas toutes muettes.

Pierre Reverdy (ce lien mène au site Terres de femmes), Circonstances de la poésie, 
Recueil Sable mouvant, NRF, Poésie/Gallimard 

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Difficile de reprendre le lirécrire après l'interruption d'une semaine. Bénéfice toutefois de comprendre ceci dans la distance, que l'immersion dans les échanges et lectures numériques fonctionne comme un formidable moteur, lequel m'emporte et me prête une énergie, une inventivité, qui ne m'appartiennent pas en propre. Je suis porté par les écritures des autres, qui m'inspirent, me surprennent, transfigurent mon regard sur le monde, sur mon propre travail. Quand j'ai commencé le blogue, après la lecture de l'ouvrage Après le livre de @fbon, je pensais d'abord à la publication de mon écriture, à ce fait-là que j'exposerai mon travail au regard d'autres personnes (connues et inconnues). Jamais je n'aurais imaginé trouver cette sorte d'atelier collectif dans l'effervescence duquel il est si vivant de se plonger.
Il serait toutefois incorrect de ne pas préciser la contrepartie de cette heureuse stimulation. D'abord sa féroce chronophagie et l'énorme fatigue qui s'ensuit, dû au manque de sommeil. Ensuite, une sorte de connexion hypersensible au réseau, affective, trop sans doute, qui m'oblige à une mise à distance régulière, pour réguler ce qui ressemble à une dépendance, quelque chose comme la nécessité de ne pas manquer. Mais de quoi? D'une forme de visibilité peut-être (dans un monde où il est dit que chacun peut remplacer tous: comme quoi il n'y aurait plus de visages, seulement des tâches à effectuer qui nous préexistent).

*

Voyage à Mazamet: le but est de prendre une photo qui existe en amont de la réalité. Prendre une photo qui existe déjà en ce qu'elle a changé ma vie dans le rêve de New York. Prendre une photo qui est une projection, une possibilité de la photo du rêve. 
Rêver devient un acte fondateur qui façonne la réalité au travers de mon consentement, de mon obéissance au rêve reçu comme une injonction.
Une injonction à écrire, à transcrire.
La question de ce voyage à Mazamet n'est pas celle du sens. Il ne s'agit pas de comprendre pourquoi ma mère serait, selon les dires du vieux du rêve, une mère lamentable. Il s'agit d'expérimenter ce que ça fait de prendre une photo qui existe déjà et qui pourtant n'est pas encore produite dans le monde.
Rêver serait un acte d'évocation si puissant qu'il créerait la réalité. Comment? Par le moyen de l'homme dans lequel il trouve à se loger, à se manifester en réalité.

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#MMERE
Dans les balises, la présence des lettres, des chiffres et des syllabes, tend à porter l'écriture vers une sorte de présence pure, dégagée de l'astreinte de signifier. Les mots qui les cernent, les phrases qui disent des choses, bornent et permettent cette présence désintéressée qui manifeste l'autre, l'ailleurs, l'indicible, le réel en somme, comme une foudre dans la nuit. Cette présence qui louvoie avec la question du sens, en cela qu'elle se passe d'exprimer quelque chose pour se manifester, est en lien direct avec M.E.R.E - 5 et avec la photo à faire à Mazamet.

*

Si j'étais plus vieux, je dirais que j'ai le sentiment, à regarder autour de moi, à lire Kertész, que notre époque partage les mêmes valeurs qu'Auschwitz, à la manière du sport qui partage les siennes avec la guerre. La sublimation en moins, la bêtise et l'irresponsabilité qui s'ensuit en plus. Mais comme je suis inexpérimenté et veule, je me tais.

*

Au dépourvu:

Mot à mot elle a retranscrit les couleurs assidues du crépuscule crucifié sur le bois de l'horizon. A peu de choses près, nous nous sommes meurtris. Et la vie a passé, elle a frémi quelque fois, puis elle a passé. Elle a dit, non merci. 

*

J'avais faim.
*

Dans cet espace nul qui sans cesse recule
          Plus sombre au verseau du néant
Ce néant auquel je faisais
allusion tout à l'heure
Et d'ici là vous n'aurez
même pas le temps
de savoir qui rit ni qui pleure.

Pierre Reverdy, Sable Mouvant, NRF, Poésie/Gallimard




mercredi 13 mars 2013

326 - Ę (1,R)











Ę (1,R)


J'ai écouté Grease dans ma chambre. Mbre. Je n'ai pas su qu'était morte ma vie de jusqu'. Qu'. J'ai été seul dans ma chambre. Mbre. 6. Je n'ai pas écouté l'ambulance. 9. J'ai entendu une fanfare dans un vent brouillard. Non. Au moment du pain une musique a hanté un matin. R. 1. On a attendu dans la pièce exiguë. Je n'ai pas connu. On s'est regardé. On a regardé nos mains brûler. J'ai entendu des klaxons. On a pleuré. On ne l'a pas su. Quelqu'un a dit, je ne me souviens plus. Des moteurs des voitures ont roulé se sont arrêtés ont roulé. Non. E. 0. Je n'ai pas écouté l'ambulance. Je me suis tourné vers un vent brouillard. Je n'ai pas pleuré dans ma chambre. Mbre. Je n'ai pas su quelque chose de mort pour ma vie. Je crois que je ne l'ai pas dit. J'ai regardé mes ongles en feu. Non. Quelqu'un a dit, c'est la musique des vivants. Quelqu'un a dit, c'est pour nous faire comprendre. Je n'ai rien dit. Je n'ai pas su qu'était morte ma vie de jusqu'. Qu'. 4. Des klaxons ont sonné. J'ai vu mes mains brûler au bout de moi. J'ai vu des cloqu'. Qu'. 0. Je n'ai pas compris. Je n'ai pas écouté le disque de Grease. Je n'ai pas écouté Summer night dans ma chambre. Mbre. J'ai entendu la rue brûler vers moi. Non. Je n'ai pas compris que je n'entendrais plus jusqu'. Qu'. Je n'ai pas pleuré. J'ai pleuré sans le savoir. Mes larmes ont brûlé dans la musique de Grease. Mes larmes n'ont pas écouté John et Olivia. 0. M. Des taxis jaunes ont roulé se sont arrêtés ont roulé. Quelqu'un a dit, on est un feu de plus. Personne n'a écouté. J'ai tremblé dans ma mort au bout de moi. J'ai tremblé jusqu'. Qu'. Non. Personne n'a vu qu'on a brûlé dans la musiqu'. Qu'. 9. J'ai regardé des autres brûler sans rien dire. E. On a brûlé en se regardant sans rien dire. J'ai écouté Grease dans ma chambre. Mbre. Non. Je n'ai pas su qu'était morte ma vie de jusqu'. Qu'. 1.















Amorce de la balise : Entendre la fanfare d’Auschwitz (ou Buchenwald?) – écouter un disque de Grease, sting, ou Elton John – entendre le bruit de New York (klaxons, cris, moteurs, voix…)



M.E.R.E, Les balises, Ę (1,R), mercredi 13/03/2013


dimanche 3 mars 2013

325 - peut(-)être un journal


#MMERE 
Il faudrait relier les balises entre elles par les lettres qui ponctuent les textes. Chaque lettre serait un lien, une porte vers une autre balise, de sorte qu'on pourrait décrocher à plusieurs endroits de chaque balise pour aller vers une autre. Ainsi, on pourrait vraiment se promener (si je puis dire) sur le territoire du vide. Peut-être pourrais-je créer un petit blog juste pour cet usage de la lecture des balises?

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#MMERE
De plus, sans que je parvienne à me l'expliquer, je ressens la nécessité de lier les "non" qui ponctuent les balises aux nombreuses vierges à l'enfant qu'a peint Bellini. Il a mis dans ces travaux toute la douleur de sa propre relation à sa mère qui, semble-t-il, ne l'aimait pas. Mais cela, je ne le ferais pas. Trop trop... En revanche, peut-être, un jour, écrirais-je quelque chose sur ces peintures qui mettent en scène l'impossible relation d'un enfant à sa mère. Les regards ne se croisent jamais. La mère est ailleurs, agacée, froide, comme embarrassée par cet enfant dans ses bras...




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Je me rends compte parfois que partager sa vie consiste toujours à dire les paroles du risque. Et que ces paroles-là déchirent le coeur. 

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Aujourd'hui, j'ai réalisé un peu plus qu'avoir une demande (on pourrait dire: éprouver une demande) serait la condition nécessaire de l'humanité de l'homme.
La demande impliquerait l'autre et tout ce qui s'en suit.

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Passé la journée à marcher sur la lame d'un rasoir. Ce soir je suis débité en fines tranches de moi-même. J'arrive à la maison que la fin des coupes part à peine du boulot. Il y a dans la ville des bouts du type qui errent, hagards, au vent, c'est ridicule. Je me rassemble dans ces mots. J'éprouve l'étrange sentiment d'accéder à la paix intérieure. Toute cette lumière qui me révèle mille fois translucide. C'est beau comme un aquarium dans le soleil d'hiver.

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Il est heureux que le Préfet Poubelle et Sir John Montagu, quatrième comte de Sandwich n'aient pas eu le même nom.

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"lyrisme et assassinat textuel sont les deux expressions d'un même désir: celui de supprimer la scission." Maria Négroni citée par J. Ancet dans son blog lumière des jours, à propos de A. Pizarnik, l'enfer musical, qu'il a traduit. Je découvre Pizarnik dans l'anthologie permanente chez Poezibao. Quelle beauté effarante:

La lumière du langage me couvre comme une musique, image mordue par les chiens de la peine, et l'hiver grimpe sur moi l'amoureuse plante du mur.
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Je prends très au sérieux cette sorte de découverte: l'écriture au dépourvu. Il s'agit de prendre l'inspiration en embuscade dans les interstices de ma journée. Dés que je suis seul, et que je sais que cela ne va pas durer plus de quelques minutes, je sors mon cahier et j'écris ce qui vient. C'est une sorte de plongée dans la poésie, un exercice de brève apnée. L'avantage, c'est qu'ainsi je mets de côté la réflexion, le cérébral, qui chez moi sont beaucoup trop présents et gênent le travail de la main. Au dépourvu, je me présente nu devant les mots,et c'est la main qui bosse. Je glane de la sorte une matière première qui pourra sûrement faire un peu l'affaire pour un poème. En voici quelques grammes:

Les autres ont vu le paysage dans mon corps océan. Je me suis retourné vers la lune. On a regardé. L'hiver a usé la jonchée de l'automne puis une lame a gémi entre l'écorce et l'horizon. Nos mains éboulées ont roulé dans l'herbe mémorieuse, nos os rangés deux par deux ont chanté dans le printemps doux. 

Le chemin dissolu vers l'eau triste. J'ai pris quelques figues. L'oiseau a battu en brèche l'air offert à la pluie. J'ai marché dans l'averse. Le paysage a toussé dans ma foulée. Des ossements se sont pressés sous le porche. Nous avons partagé les fruits, et puis nous avons raconté des histoires amarantes.

La rosée en sang dans l'assaut du jour sur les trèfles hurlant. J'ai bu. C'était il y a longtemps. La guêpe du soir lourde d'or et d'encre ne m'avait pas encore. Et j'ai posé mes yeux plus d'une fois vers les lucioles, quand les étoiles vont et viennent dans la vacuité de ma langue.  
 
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Je fais une pause du lirécrire durant une semaine.

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324 - E (9,E)











E (9,E)


Je me suis tenu dans la chambre des parents. J'ai vu à la fenêtre un ciel crayeux. Eilleu. J'ai vu un lit. J'ai perdu ma peau debout devant l'armoire. R. On s'est rué vers la porte. Un gaz mes poumons. On a hurlé j'ai vu des pieds nus. J'ai été la nuit d'homme. J'ai vu dans le meurtre. M. 1. Je me suis tenu devant le vieux. Je me suis tu. Il m'a regardé. Je crois que j'ai été gêné devant ses yeux. Je n'ai pas su dire. 9. J'ai vu un ciel crayeux. Eilleu. J'ai vu des draps. Je n'ai pas compris. Personne n'a dit. Ma peau m'a laissé un ciel. 0. 6. J'ai vu un enfant dans mes bras sous des pieds nus. J'ai serré la nuit d'homme. J'ai vu dans le meurtre. Un enfant tout petit. Ma peau ça a été lui dans le crayeux. Eilleu. E. 4. Les yeux du vieux m'ont tué. Je me suis tu. J'ai senti ma peau trouée dans ses yeux. Non. Quelqu'un a dit, poussez-vous. Quelqu'un a dit, je veux vivre. Non. 1. Des draps ont pleuré. J'ai pleuré ma peau dans le crayeux. Eilleu. Je n'ai pas été grand. Je n'ai pas été grand. Je n'ai pas été grand. J'ai vu un enfant dans le meurtre. J'ai serré sa force son petit corps dans le meurtre. J'ai vu la nuit d'homme. Non. 9. Le vieux n'a rien dit. J'ai vu ma peau dans ses yeux crayeux. Eilleu. Je n'ai rien dit. J'ai eu peur. J'ai eu envie de pleurer. Je ne l'ai pas dit. Je n'ai pas su que j'avais envie. 0. J'ai bu la nuit d'homme. Je me suis tenu à un enfant tout petit ma peau dans le meurtre. Non. J'ai été mis dans le crayeux. Eilleu. J'ai été ma peau vide vers des yeux. Ezieu. E. 0. 6.














Amorce de la balise: Suffoquer dans les chambres à gaz – Etre sidéré dans la chambre des parents à la maison – Ressentir une gêne indescriptible devant le vieux



M.E.R.E, balise E (1,M), dimanche 03/03/2013