jeudi 12 décembre 2019
Ce jour ne fut pas semblable à lui-même, du moins pas autant que l'on n'aurait pu le croire à priori. Beaucoup de pensées merveilleuses, perdues hélas. Ne m'en reste que cet oubli confus, ce maelström presque d'un rêve. Qu'est-ce donc là demeure? Et que penser de ces images de policiers qui tabassent des gens dans la rue? Qu'on voit sur les réseaux sociaux, sur les applications de réseautage? Quel phénoménologue pour s'intéresser à ces productions vidéos qui remuent les tripes et sidèrent l'esprit? À partir de quel seuil de répétition des mêmes gestes filmés allons-nous nous habituer? Qu'est-ce qui travaille et fonde l'indifférence? Comment se situer relativement à ces images de la violence? Comment se situer relativement à cette violence produite dans le cadre de l'exercice d'une fonction? Comment se situer relativement à des corps en train d'être meurtris? De quelle esthétique relèvent ces images de smartphone porté à bout de bras? Que désigne cette esthétique? Quelle place pour le montage? Pense-t-on au montage, même le plus élémentaire: un début - une fin? Sinon le jeune me fait écouter du rap. J'encaisse, j'encaisse, j'encaisse, il dit le rappeur. De l'argent, bien sûr, mais aussi, mais pourquoi pas, des humiliations peut-être... J'attends un long moment sous l'aubette, il pleut, les voitures dans la pluie de la nuit, les voitures dans la pluie, les phares mouillées, je ne sais pas.
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Deux pages encore, de Clément Rosset, dans le métro. J'essaie de me souvenir de ce que j'ai lu.
Tout le monde sait que la vie humaine repose sur un rien. Personne n'ignore les riens qui fondent une idéologie. Personne n'ignore le vide d'une idéologie. On essaie de se consoler dans des tentatives de croyances. Mais cela ne marche pas bien, jamais, que ce soit en religion, que ce soit une idéologie politique. Aussi lutter contre les idéologies est un contresens, car c'est lutter contre rien, et prendre ce rien au sérieux, lui accréditer de la substance et, finalement, faire soi-même de l'idéologie. Le tragique ne lutte pas contre les idéologies. Il serait plutôt voué, par pitié, selon la pitié qui le caractérise, à accréditer les idéologies pour consoler les êtres humains, précisément parce que les idéologies sont rien. Mais ce serait un contresens relativement au régime de croyance du tragique. Car le tragique avance une impossibilité à accréditer la croyance en tant que telle. C'est son seul postulat: l'impossibilité de croire.
Autre chose: différence entre impensé et silence. Ce qui n'est pas dit n'est pas impensé, n'est pas inconscient. Ce qui n'est pas dit, est su mais non disponible pour le sujet. L'usage de la parole rend effectif ce qui restait comme latent, dans un savoir non préhensible. Le tragique vise cet exercice de la parole, sachant que chacun sait bien suffisamment. Il n'y a pas à dispenser un savoir, il y a à rendre disponible le savoir déjà là.
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Jour après jour je sors, toujours en quête d'autre chose,J'ai de long temps sondé tous les chemins du pays;Je hante le frais des hauteurs et tous les coins ombreux,et les sources; l'esprit errant par monts et par vaux,J'implore le repos; tel le fauve blessé fuit aux bois,Où il trouvait à midi la paix d'une ombre sûre;Mais plus ne ranime son coeur la tanière de verdure,Il gémit sans sommeil, talonné par l'aiguillon.Ne l'aide la tiède lumière, et non plus la fraîcheur nocturneEt dans les eaux du fleuve il baigne en vain ses blessures.Et comme la Terre en vain lui offre la joie de ses simples,Que son sang effervescent ne calme nul zéphyr,Ainsi de moi, mes amis, tel semble mon sort et personneNe saura de mon front le triste songe écarter?
Hölderlin, Plaintes de Ménon sur Diotima,Traduction François Garrigue, Oeuvres complètes, La différence
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La joie de ses simples? |
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