jeudi 8 février 2018

684 - peut(-)être un journal






M.E.R.E

La version spatialisée que présentera le livre papier est maintenant terminée. Accepter l'écart qu'inévitablement j'ai constaté entre l'idée que j'avais du livre et sa réalité ne fut pas chose aisée. La réception de l'épreuve en fut une pour le moins. C'est-à-dire que j'ai ouvert le livre environ une fraction de seconde puis, horrifié par tant de réalité, je l'ai refermé et me suis jeté devant la fenêtre. Là, longuement, j'ai considéré, avec sagesse et plénitude, le vieux château d'eau érigé de l'autre côté de la voie. Plusieurs minutes furent nécessaires avant qu'il me vînt à l'esprit que le livre tant espéré, celui-là même à la réalisation duquel je me suis acharné les ans durant, était présentement posé sur la table basse du salon. Aussi brutale que soit son incessante et miraculeuse venue au monde (ou, devrais-je dire, son incessante, maudite, non-disparition: cette manière canaille de durer encore et encore dans un volume, un poids, des couleurs, une matière, (autant d'attributs indubitablement relevés par mes sens comme fournissant la preuve de sa survenue durable dans le monde)), il fallait bien que j'y consente, si je voulais en être le fils, sinon l'auteur.

Voilà que j'ai fini par accepter ce livre tel que les contingences de sa fabrication l'ont déterminé. C'est une libération en somme. C'est une transformation à vrai dire. Le trauma semble linéamenté désormais. Loin d'en avoir fini avec celui-ci, j'en ai peut-être terminé avec la lutte dont l'objet consista à sa mise en fonction: autrement dit: lui prêter une forme qui signifie: une qui soit matricielle et non plus terminale: 
passer de l'apocalypse à la genèse.
D'ailleurs, nous sommes en droit de nous interroger; 
l'apocalypse n'est-elle pas liminaire?; 
n'est-elle pas la condition nécessaire et suffisante à toute genèse?
dès lors, et c'est mon intuition la plus dense depuis long,  
l'origine est à demain, 
elle n'est pas derrière nous,
elle est devant,`
voilà ce qui nous différencie du règne animal 
peut-être...
et pourrait nous soigner, un tant soit peu, de ce mal à l'identité qui nous bourrèle 
Au fond, quoi? Il m'a fallu 27 ans avant d'être en capacité de donner un visage au trauma? Il s'est agi de déterminer à quoi pourrait bien me servir cela: un traumatisme? Quelles forces en dessinaient la direction? 
C'est un questionnement sur la destinée. 
Quel est mon destin? 
Ce fut un trauma oui, un trauma comme moyen en vue d'écrire. Qu'est-ce qui me permet de l'affirmer? Mon bon vouloir peut(-)être? Et si le destin, pour tragique qu'il fût, était cette décision insoluble où s'intriquent volonté et contingence? Ce oui, mystérieux, à ce qui nous aliène, ce oui, inqualifiable, qui consiste à travailler pour transformer ce qui s'impose en avant de nous?  
Peut-être,
l'écriture est première au trauma.
L'événement dramatique n'est intervenue que pour susciter, à terme, l'élan vers l'écriture? Je le crois. Je ne le crois pas parce que je présume que c'est vrai, je le crois parce que jamais aucun énoncé ne pourra en faire la preuve, et c'est depuis cette indécidabilité que mon désir s'essore et déploie son envergure dans le matin qui vient de nouveau. 
Ainsi, le livre M.E.R.E n'est pas une fin, il est le moyen des autres livres que je m'apprête à écrire. Et, je dois l'avouer, dans mon ventre, puisque c'est là, dans mon ventre, que se manifeste l'écriture, dans mon ventre il y a des livres qui désirent et désirent, il y a des formes qui poussent pour émerger et prendre pied dans le réel à la manière des vérités. Voilà 
la joie, 
la nuit amoureuse, 
le vif énamouré dans la trame d'un temps qu'innerve la blessure.

Être le fils de ce livre, c'est me laisser transformer par la distance que sa publication ménage entre lui et moi. Ce livre est un père oui. Un père que j'ai construit de toute pièce, dont je lâche la main. Et je regarde cela me quitter. Un père produit de l'évènement dans la personne du fils. Voilà en quoi un père se manifeste. Voilà à quoi peut servir un père. Créer de la discontinuité, susciter de la substance vive, creuser un écart, ménager du meurtre dont on ressort délié. Ecrire, oui, sans doute, et je le dis à la suite de tant d'autres que c'en est une honte, mais enfin, à chaque génération de l'affirmer de nouveau, encore et encore, écrire c'est produire du père, c'est jeter de la matière de père dans le réel, pour qu'enfin les fils accèdent à l'amour.

Quand je dis amour, je n'évoque pas un bonheur ou je ne sais quoi d'un accomplissement, je ne crois que je sois de ceux-là qui s'accomplissent, je ne crois pas à l'aboutissement, je n'évoque pas un ordre de partage et d'harmonie, non, je pense à la guerre, aux tensions, aux meurtres, je pense à la mort, parce que l'amour trouve là de quoi sustenter son visage. 




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Le lien du livre sur le site de publie.net est celui-ci: https://www.publie.net/livre/m-e-r-e-julien-boutonnier/ pour précommander l'ouvrage dès aujourd'hui ou l'acheter en direct à partir du 28 mars.
Achat possible en librairie à partir du 28 mars en donnant l'ISBN.

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2 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

Bravo pour cet achèvement qui est aussi une naissance...

Julien Boutonnier a dit…

Merci cher Dominique. Chaque jour, chaque heure, chaque minute devrait être ainsi.