samedi 23 mai 2015

526 - peut-être un journal







il pleut. la mort dans l'âme. je ne parviens qu'à la fin. cet épuisement du sang, du nerf, du vif. et je dis oui. pour un peu de vérité quant aux bris des siècles que je suis: cette victoire délabrée - ce manifeste en lambeaux qui tète le vent. 


tournée vers la nuit ma peau est Shoah. 


le jour en devient.

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Moi je fais une cicatrice sur les écritures. Les écritures, elles ont une cicatrice, dit-elle, ma fille. Elle dessine une suture sur la phrase : vivre prend tout mon temps.

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éphélides - éphémères
mains tremblantes noueuses

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Comment cesser? Comment la plainte peut-elle cesser? 
Au bout de soi il y a soi.
C'est un peu décevant. Et puis on accepte. Et la plainte trouve matière à moins.
Il reste à aimer, créer, travailler, comme l'affirme pépé Freud. 
Il reste nos mains. 


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Quand je regarde les peintures du Greco, ces couleurs si enclines à déclencher en moi un son spleenétique, une rumeur acerbe, morale, qui m'engage à restaurer désir et conscience d'une mort, la mienne de mort, la tienne, la nôtre, je pense aux oeuvres pour orgue de Messiaen. Ce sont les mêmes tons qui sont à l'exercice.

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c'est une attente au fur et à mesure. quand nos corps n'ont pas le choix du littoral. et c'est un muret de vieil usage. où recueillir l'endolorissement des soleils jour après jour. nos pas vont tu le sais, depuis tes joues vers une déception. ce ressort fulgurant de nos désappointements, si rugueux, si vivants. as-tu vu comme un lichen se tait parmi les aspérités? le chemin parle avec le spectre de nos émotions. mais depuis peu nous n'osons pas abîmer nos yeux dans l'épaisseur des siècles. il se pourrait qu'une opportunité trouve lieu. peu de mains cependant échappent à l'emprise. une épaisseur nous meurtrit, une épaisseur du vent que seul un muscle tragique saurait délier et rendre à l'usage des paroles. tu relèves tes cheveux en un chignon sommaire. et ta nuque voit la nuit quand les verticales ploient dans la résonance des salives et des passions.

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El Greco, Le partage de la tunique du Christ
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le corps est pris comme dans un anonymat précis qui le menace 


Anne-Marie Albiach, Anawratha, La nudité et le tremblement de l'être 
(Roger Giroux, "Est-ce", Argile XIX - XX), Cinq le Choeur, Flammarion, p 349

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et ma fille dit
          d'abord on est né dans un livre
          après on est dans le ventre de maman
          et après on sort

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Je comprends maintenant pourquoi les écritures ont une cicatrice.



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syntaxe - syntasthme
          le peine à respirer révèle la structure de la phrase du vent

ce vent nous échoie à la guise des poumons
          silos de souffle  

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la nudité de l'os, la fragmentation et le nu tendent à la transparence de même que la syntaxe à la dissolution: le corps est pris comme dans un anonymat précis qui le menace, feuille blanche et mur : ce qui prendrait la main de celui qui écrit; serait-ce la formulation "Est-ce" tendant vers l'S ou le point d'interrogation enfermé dans un carré, mur quatre fois récidivé.


Anne-Marie Albiach, Anawratha, La nudité et le tremblement de l'être 
(Roger Giroux, "Est-ce", Argile XIX - XX), Cinq le Choeur, Flammarion, p 349

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tu restes à la traîne du jour, parmi les cirrus et les jeunes femmes aux joues lisses. alentour de sombres quiétudes s'enlacent à ce que jamais ne pourra résoudre : un trauma qui te fonde et t'inspire. le corps est pris comme dans un anonymat précis qui le menace. c'est une paix, tendu comme un arc, aiguisée pour
et je ne conçois pas que cette dérive à laquelle j'ai souscris il y a longtemps maintenant soit un visage figé dans un carré, mur quatre fois récidivé. 

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Roger Giroux, Journal d'un poème, Eric Pesty Editeur
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L'anonymat précis est la fine pointe de nous-mêmes. Je suis en dernier ressort un anonymat. Un arpent blanche qui défait ce qu'à l'ordinaire je tiens comme étant moi. 
      Moi? (rire incandescent, joyeux, paysagé) : vaste habitude de la paresse et de la socialité. 
Un suspens caractérise cet anonymat précis, il me fonde et me brise, il nous fonde et nous brise, il nous suscite et nous désavoue dans le même temps:

néant resserré sous la forme d'un cube, où se précipitent toute unité, où tout unité se dissout, d'où surgit la cohérence raisonnable, irrationnelle, d'une dispersion amoureuse, douloureuse donc:
Ce cube anonyme a un nom et ce nom est Shoah.

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j'ai levé les yeux. le ciel avait ces joues de cendres. et son regard dévasté, sans localité ni profondeur, a germé jusque dans mon abSence de centre. avril a pris la main. le chemin est descendu. nos pas sont devenus.

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je ne devance plus les souhaits. j'en reste dorénavant à la simple éclosion qui parsème nos gestes. c'est un peu de ce lieu où restaurer les forces, c'est un peu de ce lieu qui ruisselle de parole en parole. et construire un silence palissadé demeure une entreprise vaine, tant les jours à venir déflorent chaque tympan des personnes. un masque ne parlera pas. 

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Laissons cela. Reparler ici de ces choses - de la bêtise des gens avisés, de l'aveuglement des gens sagaces, de l'idiotie de ceux qui espèrent, du train qui passe en grondant sur le pont d'Oppeln et des cheminées de Birkenau -,je n'en ai absolument pas l'intention, mais qu'y faire, il n'y a plus d'autre sujet que ces sujets monstrueux, il n'y a plus de thème derrière lequel ils ne soient à l'affût et plus de mur assez massif pour empêcher qu'on ne le voie au travers. S'il est impossible (qu'on me passe l'expression) d'"apprécier avec justesse" ce qui est arrivé là d'une façon directe, nous pouvons en revanche l'"apprécier avec justesse" d'une façon indirecte parce que, quel que soit le sujet dont nous parlons, nous glissons toujours dans une certaine direction, nous pensons toujours pendant notre chute à ce qui est arrivé et nous finissons toujours par atterrir sur le nom du célèbre lieu. Tous les chemins mènent à Auschwitz.

Günther Anders, Visite dans l'Hadès, Editions Le bord de l'eau, 
collection Altérité critique, page 103

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1 commentaire:

Dominique Hasselmann a dit…

Messiaen :

musique oiselée, ocellée

Dessins :

"organisation" des couleurs.