dimanche 12 avril 2015

519 - LIVRE-AVRIL - 24 (Provisoire)






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          il disait,
considérons l’agencement parfaitement équilibré de cette toile de Poussin, de ce Paysage avec Polyphème, il nous vient immédiatement à l’esprit que le mot anencéphalie est l’expression, heureusement abréviative, d’une idée complexe, équivalente aux idées simples qu’exprimeraient les mots spina bifida complet, acrânie, absence du cerveau, amyélie. combien de fois faudra-t-il répéter qu’une telle abondance en harmonie, ô combien suave, ô combien euphorique, a trait à la plus terrible cause existentielle ? et si l’on dit à l’ordinaire qu’une frontière pèse dans la nuit à la manière d’un Christ qu’on dépose avec force de larmes, c’est bien parce qu’il n’y a qu’en ces peintures-là, éminemment morbides et mesurées, qu’on touche à la véritable essence. regardez, non mais regardez donc le littoral à droite du tableau ! comme il surgit pour nous annoncer !
(il s’assit un instant, essoufflé, misérable. sur ses genoux tremblait une reproduction écornée du Paysage avec Polyphème. il ferma les yeux que cernait un bistre luisant. il marmonna quelque chose que je ne compris pas. la peau parcheminée de son visage osseux était prête de se déchirer. derrière lui la bibliothèque immense semblait sur le point de le submerger. je ne savais pas s’il avait encore sa raison. je ne comprenais plus ses propos. j’assistais à l’explosion d’un astre. je me laissais instruire par cette apocalypse de son esprit.)
          il disait,
vous voyez, Geoffroy Saint-Hilaire, dans ses Solutions des objections, il dit que les auteurs qui ne croient pas à la possibilité d’une classification naturelle tératologique, ont surtout basé leurs arguments sur la prétendue irrégularité des caractères de la monstruosité. il ajoute qu’il est facile de voir que cette objection repose sur une opinion erronée, et mérite à peine de nous arrêter, du moins en ce qui concerne les genres. ces mots-là, voyez-vous, ce sont les couleurs, ce sont les rythmes somptueux du paysage avec Polyphème. et l’inquiétude de la jeune femme au premier plan, c’est précisément cette phrase-ci : sous un point de vue général, tous les monstres d’un même groupe pourront être ramenés par la pensée à un seul et même être, et embrassés sous un nom commun. vous entendez : sous un nom commun ! et il ajoute : puis, sous un point de vue plus spécial, il pourra être utile de les distinguer les uns des autres, et de leur assigner un nom particulier. ah ! voilà le génie ! voilà l’expression de la maladie occidentale ! mé-lan-co-lie ! voilà la frontière évacuée dans le texte même ! la femme est anxieuse parce qu’elle sait que la maladie songe en elle, déjà, malgré sa jeunesse, la maladie travaille au secret : et cette maladie n’a pas de nom, elle n’en aura jamais ! elle le sent, quelque chose se passe dans son corps, de sensible et d’indicible. c’est à cela que tient la frontière ! voilà l’avril ! voilà la paresse du géant Polyphème affalé sur la montagne ! quoi qu’en dise Saint-Hilaire !



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          l’hyperthyroïdie causée par basedow 
          est une médiation, un seuil 
          — surgisse de la vérité 

          d’ailleurs 
          si l’on s’intéresse à l’étymologie du terme thyroïde :
          θ υ ρ ο ε ι δ η ́ς « semblable à une porte, à une fenêtre »

          il reste à ouvrir l’organe (d’avril oui) : à le traverser


depuis hier après-midi, douleurs intenses aux articulations : genou droit, aine droite, épaule droite et deux poignets. bosse molle hier soir sur le poignet gauche, s’est atténuée ce matin. douleur intense épaule droite. attente deux heures trente chez le médecin. 
analyses, salle II, le déjeuner de Monet au mur, on se parle avec la technicienne qui fait la prise de sang, on commence à se connaître, je lui demande si c’est une ironie ce déjeuner au mur alors qu’il faut venir à jeun se faire piquer, je ne lui demande pas. 
la douleur s’est fixée sur l’épaule droite. atroce. peux plus bouger. la douleur articulaire rend mon corps à son état désiré : cette fixité cadavérique. ça résonne avec mon besoin morbide d’échapper à la vie, au mouvement : ce contre quoi je combats habituellement. 
résultats analyse à dix-huit heures : inflammation importante, virale probablement. n’arrive plus à fermer la main droite. la maladie est un visage du réel, impénétrable en soi, la maladie est une exacerbation de l’impénétrable à l’œuvre dans le corps, la maladie est à la vie ce que la lettre est la langue, 
une frontière en soi, où vibre un réel
une opportunité en somme










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mes poumons changent. c’est une douleur qui ensoleille dans mon thorax. comme une énergie acérée si proche de la fin de l’histoire. entre un instant et l’autre, dans ce pays où le temps diffère, le souffle ne réside plus, du moins pas avec l’évidence du cri. les bronches ont fui vers de longues jetées qui s’avancent dans l’incessant. et je me trouve sans force à l’endroit d’un thorax en chantier : 
saison d’avril. 



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Carl von Basedow pria son père de financer un voyage à Paris au motif qu’il souhaitait là-bas approfondir ses connaissances médicales. il avait pour projet de postuler en tant qu’interne à l’hôpital de la Charité où enseignait le fameux baron Guillaume Dupuytren. Après avoir éructé d’une forte façon, son père émit trois petites flatulences et s’accouda sur son bureau ; il regarda Carl droit dans les yeux, se contenta de hocher du chef en signe d’acquiescement. 
Basedow resta un an et demi à Paris, de janvier 1821 à juin 1822. La rumeur veut qu’au jour du 9 avril 1821 il ait assisté, avec Alfred Giraudin, interne comme lui à la Charité, à la délivrance de Caroline Dufaÿs. Ce serait Dupuytren lui-même, connaissance du père, qui aurait demandé à ses étudiants de se rendre sur place, au 13 rue Hautefeuille, afin de surveiller le bon déroulement de la naissance ; ils avaient pour consigne de l’interpeller au plus vite en cas de complications. Ce ne fut pas nécessaire. L’enfant, un garçon, vint au monde sans difficultés excessives. La mère, quoique fatiguée, fut rapidement hors de danger. Basedow et Giraudin quittèrent donc les lieux sans plus tarder. Ce fut Monsieur lui-même, Joseph-François Baudelaire, qui les raccompagna à la porte et les remercia avec la plus vive émotion.
On dit qu’une fois dans la rue, Basedow aurait murmuré à son compagnon cette phrase de Schiller : Das Licht des Genies bekam weniger Fett als das Licht des Lebens. Ce qui signifie : La lampe du génie brûle plus vite que la lampe de la vie. Giraudin, devenu vieil homme, aurait confié cela à Frédéric Armbruster, biographe zélé de Basedow. Mais peu d’universitaires accréditent encore avec certitude une telle remarque pour la simple raison que rien n’indique que Basedow se soit intéressé de près ou de loin à l’art de Schiller. 



















livre-avril - 24 - avril 2015

1 commentaire:

Dominique Hasselmann a dit…

Bel envol à partir de Poussin (normal) et puis retour de Basedow, la maladie comme révélateur, en fait.