dimanche 15 février 2015

501 - LIVRE-AVRIL - 17 - (PROVISOIRE)








          17





 :      je pense aux genêts 
sous la pluie jaune :     




sa mère pleurait toutes les larmes de son corps quand son père posa la main sur son épaule et lui demanda ce qu’il comptait faire ; sans se détourner de la fenêtre à travers laquelle il contemplait, sans doute pour la dernière fois, les andains flavescents qui striaient les champs de son pays si doucement mamelonneux, il exposa ses plans d’une voix dont il aurait voulu qu’elle parût déterminée, mais rien ici, dans cette prise de parole, n’indiquait pas la profonde mélancolie teintée d’une angoisse puérile, qui ceignait, non sans quelque noblesse tragique, la totalité de sa jeune personne :
           j/e partirai à l’ouest
          dans la vallée de Zittau
          pour traverser les moyennes montagnes 
          des Sudètes
          les Monts de la Jizera
          les Monts des Géants
          et les Montagnes de l’Aigle
          puis j/e passerai à proximité d’Opava
          et au nord d’Ostrava
          et je finirai par couper les villes jumelles
          de Ciezsin et Český Těšín


                                       il y a      –
ces morts      (je m’allonge)
aux plis des vitres 


     il disait, 
il semble que personne n’ait encore pris la mesure de la puissance à l’œuvre dans la passementerie dérisoire d’un visage harassé de maladie. seuls les peintres de l’âge classique, dans leur idéal de mesure et d’harmonie, ont touché la révélation abyssale que contient ne serait ce que la bouche d’un homme ravagé par l’épreuve. 
     il disait,
on ne veut pas comprendre que la scène précisément où se fit montre la frontière primitive fut celle d’un homme alité, proche de mourir, sous une tente de nomade, quelque part dans le désert. la fragilité humaine, que révèle la maladie, est un outil adéquat pour que s’édifie la frontière. la déficience propre à notre espèce constitue ce repoussoir décisif contre lequel l’humain trouve l’occasion de s’édifier en tant qu’être sensible doué pour le rêve et la destruction. c’est dès lors qu’une limite à son malheur se porte à sa conscience que l’humain se saisit de son visage pour l’amour, et cette limite ne connaît qu’une substance : la mort.  
[il arpentait sa bibliothèque et sa parole ne semblait pas devoir s’interrompre. sa main noueuse et transie de rhumatismes glissait en tremblant sur le dos des ouvrages sans jamais en choisir un. il se retournait parfois et me scrutait de ses yeux hyalins comme pour vérifier que je n’écoutais pas et restais là sous son emprise. je ne doutais plus désormais qu’il ne m’avait pas convoqué pour les raisons qu’il m’avait énoncées avant que ne commencent nos entretiens. il n’était pas question que je comprenne quoi que ce soit. il n’était pas question de transmission. j’étais une simple courroie qui facilitait sa prise de parole. pour bien faire il aurait fallu que je sois une présence nue, réduite à de simples fonctions biologiques, ôtée de toute conscience ; il aurait fallu que je sois un pur relais dans la conversation qu’il entretenait avec lui-même. il était certain maintenant qu’il détestait que je fusse vraiment à son écoute. mais par une étrange loi de son psychisme, il ne pouvait taire ses réflexions et me délivrait, jour après jour, l’essentiel de sa pensée, lequel je recevais avec le plus grand intérêt]
     il disait,
il ne fait aucun doute que seule une bête malade a pu loger l’abîme qui caractérise la parole humaine. une bête malade, jetée dans un désœuvrement fertile et fatidique, pour qui soudain la perspective de sa propre mort fut énoncée jusque dans le bruissement léger des feuilles à l’approche du soir. la maladie est un truchement. par elle s’écartèle le souffle. il n’y a qu’à l’approche de ce déchirement du respirant que s’ouvre la misère. la bête a vu sa misère. et seule cette misère est à même de donner à l’œil son humanité : cette capacité à discerner la frontière qu’il incarne et recherche. 
     il disait,
la frontière, c’est le territoire du tragique, l’arpent du destin et du choix. 
et la bête a été brisée. 
et nous connaissons tous son visage.


pour mettre à sac un ciel      :



Carl Adolph von Basedow naquit à Dessau le 28 mars 1799, soit quelques jours avant que Johannes Theodorus van der Kemp arrive au Cap pour le compte de la London Missionary Society. Carl vécut une enfance heureuse et studieuse malgré que son père, Johann Bernhard Basedow, essayiste, pédagogue et philosophe, fût un individu qui pâtissait d’une très mauvaise réputation à cause de la grossièreté de ses manières. 
Carl, qu’une prédisposition pour les études promettait aux plus nobles carrières, décida qu’il serait médecin un jour de printemps 1814. Son père en fut chagriné car il avait conçu des espoirs qui n’allaient pas en ce sens. Il n’en laissa cependant rien voir car, bien que très grossier, il n’en avait pas moins un sens élevé du respect de la liberté d’autrui, et particulièrement de celle de son fils. Quant à savoir ce qui avait porté Carl à opérer un tel choix, dont il savait pertinemment qu’il n’irait pas tout à fait dans le sens de ce que sa famille attendait de lui – on lui promettait plutôt un avenir dans la magistrature – il semblerait qu’une fillette, Frédérique, sœur d’une amie d’enfance, en fût la cause. Frédérique mourut en effet des suites d’une fièvre pourprée qu’elle aurait contractée par le biais d’une vilaine tique. 
Carl jugea cette mort odieuse, injuste et sans nécessité. Il se promit d’œuvrer pour lutter contre les maladies. Son tempérament travailleur, sa pertinacité, ainsi que l’appui indéfectible de son père, l’aidèrent dans la réalisation de son projet qu’il mena à son terme avec brio à l’université Martin-Luther de Halle-Wittenberg. 


      façonnent l’argile d’un avril      –
      une armée des silences



je me retourne et ma vie n’est pas simplement celle que j’ai vécue 
les lettres incessamment se lient, se délient et se relient 
les temps de ma vie incessamment se lient, se délient et se relient
tout cela est dynamique et profondément instable















LIVRE-AVRIL - 17 - Fevrier 2015

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