dimanche 8 février 2015

500 - peut(-)être un journal








Autoportrait de Giorgione en David
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Il n'est question que de cela:

construire une image de soi
unifiée
dans les habits d'un personnage

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d'abord je me demande d'où je parle.
et je crois que le plus juste est d'annoncer que je parle depuis cette parole qui disparaît. 
il y a quelque chose que je dis, c'est une parole triste et précise, et joyeuse aussi, c'est une parole nécessaire et pourtant personne ne l'entend, et pas même moi. 
il y a quelque chose qui se dit à travers l'épaisseur de nos présences, dont je n'ai pas idée; c'est une parole politique, c'est une vive parole, une parole d'avenir, c'est une parole institutionnelle qui dit les choses qu'on a besoin d'entendre. 
et cette parole s'évade avant même l'intention. 
et elle nous manque et c'est en cela qu'elle nous édifie. 
et c'est de ce manque d'où je parle. 
et peu importe à vrai dire le sens de mes paroles, l'important sera d'en saisir le lieu, son incommensurable importance, son incommensurable fragilité.  

*

d'abord je me demande d'où je parle. 
et je crois que le plus juste est d'annoncer que je parle depuis le meurtre. 
m'asseoir dans le meurtre, y résider les heures durant tandis qu'au dehors s'agitent les discours. 
faire preuve de rêve et d'abandon.
dessiner ces entrelacs propices à ma méditation. 
et puis prendre dans mes mains vos visages de Caïn. 
interroger vos yeux où s'agitent un enfant sans lois. 
caresser vos mains, vos rudes mains de la violence. 
chercher ce chemin de chaque jour depuis l'enfance, depuis votre mère morte, depuis l'abandon de votre père.
jusqu'au meurtre.
saisir votre recherche de l'amour du père et la faillite de cet amour du père. 
cette catastrophe de n'avoir pas trouver de père pour vous lier et pour vous délier ensuite.
chercher la parole sur laquelle votre errance et votre misère ont trouvé leur péril. 
je veux dire cette butée qui ne laisse pas la pensée embrasser son échec heureux, incessant, nécessaire. 
chercher l'ennemi sur lequel vous avez porté l'amour du père dans sa version haineuse. 
comprendre que vous avez utilisé des fusils pour tuer une fiction juridique. 
cet être sans corps ni visage: un journal. 
ô misère! 
ô parricide! 
c'est avec la langue que vous vouliez en découdre! 
c'est avec le régime infini des signes qui marque la différence et l'altérité que vous vouliez en finir! 
c'est avec le manque qui est notre visage! 
c'est avec l'amour du père! 
ô enfants assassins! 
je vous désire dans le lieu d'où je parle. 
je vous veux à mes côtés. 
je vous désire à flanc de l'Abîme.
mais vos peaux sont froides désormais et nul jugement ne vous séparera plus de votre crime. 
nul jugement ne séparera plus l'homme de son meurtre. 
et nul homme ne pourra creuser dans la personne jusqu'à la brisure qui sauve et révèle la substance de nos êtres.  


"Pourquoi la société entière - la société des innocents - met-elle tant de passion à scruter l'assassin et à soupeser son crime, à mettre en scène, dans ce théâtre qu'est la Justice, la catastrophe de quelqu'un?
Parce que, à chaque crime, à chaque meurtre, nous sommes touchés au plus intime, au plus secret, au plus obscur de nous-mêmes : un bref instant, nous savons que nous pourrions être celui-là, le naufragé, un meurtrier. A chaque crime, à chaque meurtre commis, il nous faut réapprendre l'interdit de tuer.
Voilà pourquoi les sociétés organisent des mises en scène, où se joue le duel de tous avec l'assassin.
Jouer le duel, cela veut dire, dans la culture occidentale, un procès qui remémore, au nom de tous, la scène du meurtre accompli, et fasse en sorte que le meurtrier réponde de son acte devant tous.
Mais savons-nous qu'un procès contre l'assassin n'est pas un règlement de comptes, mais un rituel de séparation du meurtre? Sommes-nous assez civilisés pour le reconnaître?
[...]
Répondre de son acte veut dire, pour l'assassin, qu'il se sépare de son acte de mort et, disait Dostoïevski, qui savait la cruauté de son temps, qu'il rejoigne les hommes, fût-ce au bagne."
Pierre Legendre, L'homme en meurtrier, 
La fabrique de l'homme occidental, Mille et une nuits n129, p34 

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Après d'âpres discussions j'ai décidé d'accueillir basedow dans le livre-avril. Le principe de cet ouvrage étant l'infidélité - ce risque de la poésie - je fais le pari que basedow, en tant que maladie subitement autobiographique, est un élément du livre, lequel je considère d'autant plus comme corpus, miroir du corps (et du corps malade), dans lequel unifier le disparate d'une présence que je suis, par bribes: un disséminé, qui ne se laisse jamais synthétiser, et surtout pas sous cette forme incroyablement proche et mystérieuse de la maladie de basedow. Je ne me remets pas de cette intimité obligée que je partage avec elle sans pour autant pouvoir progresser dans la connaissance de ses intentions véritables. 
Il est d'usage que nous croyions à la malignité des maladies, mais moi je crois que les maladies nous veulent du bien, et d'abord en ceci, qui ne supporte aucune équivoque il me semble, qu'elles nous déshabituent de la vie. La maladie est bien plus efficace que toute poésie ou philosophie pour nous rendre à cette conscience de l'improbabilité de nos présences, de toute présence. 
Je ne crée donc pas de blog basedow. Je vais essayer d'intégrer cela - mes notes prises au fur et à mesure de la maladie - directement dans le livre-avril. 
Au pire ça fera un livre. 
Au mieux j'aurais vécu une expérience qui n'aura débouché sur rien - et ce serait-là, sans doute, l'expression d'un génie de basedow.

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Je me promène avec ma fille. Elle me parle et remarque que sa voix résonne contre le mur que nous longeons. Elle me dit : il y a un raisonnement.
Un résonnement: c'est cela, quelque chose fait écho dans l'esprit; et cela nous l'appellerions pensée.
Une raisonance oui. 
Les mots se déplacent de voix en voix, tissent une culture où loger nos morsures.

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J'ai ôté les extraits du roman que j'avais intégrés dans le fragment 16. Bien que ces textes anciens représentent pour moi un passage important dans mon processus d'écriture, ils restent si marqués par l'expérience de la lecture célinienne qu'ils auraient besoin, pour une éventuelle utilisation, d'être insérés dans un corpus plus adapté à cette caricature, de sorte que l'énergie bouillonnante qu'ils véhiculent trouvent un écrin où les mettre en perspective. 
Le fragment 16, dernière mouture, avec un début d'introduction du thème (comme on parle d'un thème musical) basedow peut être lu ici

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Dès que argent, acheter ceci:

Jacques-Henri Michot, un ABC de la barbarie, Editions Al Dante

Todd Shepard, 1962, Comment l'indépendance algérienne a transformé la France, petite bibliothèque Payot 

Robert Paxton, La france de Vichy, éditions du Seuil

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Tout reprendre et tout coudre. Les choses avec les mots, le vent au travers. Le vent c'est prévu tombe dans la phrase comme dans un trou. Hurle, se pend à son crochet. Fait de l'air. La phrase je l'enroule à ma gorge pour sortir. Je marche avec. La traîne par terre pour attraper n'importe quoi, qui pourrait s'accrocher. Rien additionné à rien. Poussière après poussière. La phrase est toujours à deux doigts de se dissoudre de toute façon. Fixée avec des nœuds au réel qui la regarde. Trop lâche, trop serrée. Un texte en radeau de fortune, je mets tout le monde dessus. Précaire.


Virginie Gautier, Carnet des départs

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c'est une lutte en définitive. que je mène contre la fatigue. une lutte banale et d'importance. à la suite de nombres de gens de l'écriture. qui eux aussi ont arraché des pages à un quotidien qui n'était pas aristocratique. 


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Cindy Sherman, madone, d'après Jean Fouquet

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Extrême difficulté pour écrire les réponses aux questions de Serge Bonnery sur les liens que je fais entre écrire et Auschwitz. J'y travaille depuis plusieurs semaines. Ce n'est qu'au prix d'un labeur hasardeux que j'arrive à organiser ma pensée. J'ai le sentiment de tourner autour d'un foyer si dense, si ardent, que mes phrases se délitent au fur et à mesure que je m'en approche. Il y a quelque chose d'éminemment religieux dans cette expérience. Par religieux, je parle de cet entendement du monde que je construis sous la forme de phrases, et qui trouve sa substance précisément dans un rapport à Auschwitz. C'est de cela dont je cherche à rendre compte sans jamais lâcher sur cette exigence selon laquelle mon texte doit pouvoir être lu avec aisance. 
Clarté. 
Simplicité. 

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il y a eu ce père qui accompagnait son fils dans le couloir de l'école maternelle. et il y avait ce trou dans la manche du blouson du petit. et le petit a mis son doigt dans le trou. et le père s'est mis en colère et lui a donné une tape sur la main. une tape fébrile et gênée. et il y a eu le regard du père qui s'est mis dans le mien. un instant. et je ne saurais dire ce que j'ai vu dans ce regard. mais cela n'avait rien de facile. et je discutais avec une maman qui n'a rien vu. et j'ai continué de discuter comme ça. 

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«le corps porte le blanc de la fiction qui le divise»

Anne-Marie Albiach, Mezza Voce, Cinq le choeur, Flammarion
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lecture luc bénazet, la vie des noms, CIPM

lecture Emmanuel Adély, il y a un français..., CIPM

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Cela fait quatre fois que j'écoute cet entretien entre Albiach et Veinstein.


Albiach dit qu'elle dénonce les métaphores en les insérant dans des guillemets. 

Comme je le disais à un ami, je rencontre dans ses textes un savoir dont je serais bien en peine d'identifier l'objet; mais cette mise en présence soigne, ou révèle, je ne sais. Les textes d'Albiach sont une somme, ou un somme. Il y est question d'un extrême présent. Un peu à la façon d'une fleur ou d'une pierre. Quand une fleur nous atteint, j'imagine qu'il s'agit déjà d'une théorie, de quelque chose de très cérébral qui trépane la pensée; et de la trouée qui s'ensuit c'est un peu de la Référence absolue qui exsude : une présence du rêve et de son scandale peut-être; dans la poésie d'Albiach, on apprend que le désir est la matière de la langue; la poésie d'Albiach est présentation de cette épaisseur du désir, dans les atours d'un rêve qui pense. 

Il s'agit d'une manière excessive de poésie. Et c'est cela qui me séduit et m'éprouve tant: cet excès. J'y vois la clé avec laquelle ouvrir une écriture.
Je pense à ce que disait Bernhard je crois, de caricaturer légèrement son sujet. 

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Sabine Huynh a chroniqué "Ma mère est lamentable" dans la revue Terre à ciel.

A lire ici, parmi d'autres lectures. 
Merci Sabine. Merci Terre à ciel. On pourra y lire des textes de Jean-Yves Fick et Fabrice Caravaca aussi.   
Le livre sortira en papier en mars aux Editions Publie.net, le 18 exactement.

JOIE!

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mes poumons changent
          c'est un chantier
et le souffle bricole
     d'autres façons de faire

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Il y a une colère vive. 
Elle est causée par la présence au défilé du 11 janvier de ces dirigeants d'Etat qui n'empêchent pas la destruction de nos psychismes, de nos corps et de notre environnement. 
J'ai moi la très fâcheuse impression que cette manifestation du 11 janvier, sise au "pays des droits de l'homme", et ce malgré la sincérité évidente de nombres de ses participants, était folklorique


Qui donc s'est déguisé avec les habits de la liberté ?

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On vit une sale époque formidable.

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LIVRE AVRIL, notes

s'identifier à 
la lettre de l'alphabet qui
est quelque chose
d'utile mais
qui ne signifie
rien en soi

la lettre détachée
seule dans le blanc
seule
déliée des autres lettres

lettre seule
qui est une frontière
en soi
sans dépendre 
d'un territoire 
ou d'un temps

vibrant tout proche d'un réel

la lettre
n'a pas besoin de contexte

elle est là
la lettre, un point
c'est tout

(pense aux nuages de lettres de Roger Giroux.)

/

la frontière recherchée

c'est cela
une 
qui n'a pas lieu ni temps

élargir la ligne de la frontière, lui donner l'épaisseur d'un corps, puis d'un chemin, puis d'un champ et puis d'un monde

pénétrer le fil de la frontière et y ménager un lieu de vie

dans un entre qui n'aurait plus de déterminants

/

se loger dans une lettre nue
pour y faire de la culture 
(semer du vivant)


(insuffisant)

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