vendredi 2 mai 2014

442 - Quatre instantanés de la vie de Goran Le Mut






Quatre photos proposées par Julien Boutonnier…

Quatre instantanés de la vie de Goran Le Mut, un prénom slave pour un Breton pur souche.










Jeudi 1er mai de l’année 2014.

Déjà presque quinze ans qu’il avait quitté sa vie d’autrefois.
Et aujourd’hui, il avait décidé de revenir sur les lieux de son enfance.
Il avait garé sa voiture de location au début de la trop longue ligne droite qui avait perdu les platanes qui la bordaient.

Le mort de trop avait eu raison d’eux comme de lui.
Mais lui revenait, eux étaient devenus des tables, des chaises, des bahuts ou des meubles hi-fi.

Près de lui, sur le siège en cuir de cette voiture beaucoup trop voyante pour rentrer au pays, trois roses rouges qu’il irait déposer dans le vase en granit du columbarium. Secteur Z, case 24, là où reposaient les cendres de son père, qu’un platane trop pressé avait envoyé là-haut, sans aucun espoir de retour.

Personne ne savait qu’il revenait aujourd’hui. Personne ne l’attendait. C’était mieux ainsi.

Avant de repartir dans son passé, il glissa dans le lecteur de CD, le dernier album des Doors du vivant de Jim Morisson, L.A. Woman. Il le cala sur la plage 10, Riders on the storm. 7.15 de pur bonheur avant son grand retour dans son village natal.










L’entrée du village n’était plus très loin. Il ralentit. Il voulait prendre le temps de savourer. Il tremblait un peu.

Quinze ans, c’était long.

Son regard fut happé par cette branche qui dépassait…
Ces quatre feuilles comme quatre oisillons à peine sortis du nid.

Lui et ses deux inséparables copains de classe et la cerise sur le gâteau, une fille, la seule qui avait trouvé grâce à leurs yeux. Ils l’avaient admise dans leur bande.

Ils se connaissaient depuis… cela devait être le berceau. Leurs parents, des amis d’enfance aussi. Mieux que des liens familiaux, des liens choisis dès le tas de sable.

Des souvenirs… de course à vélo dans les ruelles du village… de genoux rougis par le mercurochrome... de coup de pied aux fesses de la part de son père ou de celui d’Alain quand nous dérobions des œufs dans le poulailler, montions dans les arbres au risque de nous rompre les os… de taloches du père du grand Pierre, qui avait toujours eu une tête de plus que nous trois… de pains au chocolat tout droit sortis du four, donnés par la mère de Gabrielle, la fille de la boulangère.

Nous nous surnommions les « quatre fantastiques ». Nous étions des fervents du groupe de superhéros de l’univers des Marvel Comics. Qu’est devenue notre collection ? Peut-être des collectors au jour d’aujourd’hui.
J’étais Red, Monsieur Fantastique, Gabrielle, ma secrète amoureuse, la femme invisible. Alain et Pierre, tour à tour, devenaient « la torche humaine » ou « la chose », suivant leur humeur et l’épisode que nous lisions.

Quatre feuilles et des souvenirs en pagaille qui remontaient comme les larmes qu’il s’empressa d’essuyer.











La voiture semblait connaître le chemin. Il se retrouva au cimetière. Il lui devait cette visite.
Le long du mur du cimetière, ce parterre de soucis en fleurs comme la dernière fois qu’il y était venu pour les obsèques de son père.

Quinze ans étaient passés. Quinze ans où pas un jour, il n’avait oublié de penser à son père trop tôt disparu.

Cet accident sur la longue ligne droite… il n’aurait jamais dû avoir lieu. Son père la connaissait par cœur cette route.
Un moment d’inattention, un chat ou un chien qui avait traversé et qu’il avait voulu éviter.

Que d’interrogations restées sans réponse jusqu’à ce vendredi soir, il y a tout juste une semaine. Il avait découvert une lettre au fond d’un carton de différents papiers et souvenirs rassemblés à la va-vite lors de son départ de la maison de son enfance. Il ne se rappelait pas l’y avoir mise. Une enveloppe blanche avec cette écriture qu’il reconnut tout de suite : « à mon fils ». Ce carton l’avait toujours suivi avec la mention écrite de la main de sa mère : « souvenirs précieux ».

Il s’est assis, a ouvert la lettre et a enfin su : son père était parti à l’heure de son choix, ne voulant pas imposer à lui et à sa mère de le voir se dégrader de jour en jour, dévoré qu’il était par le crabe, comme il l’appelait.

Quinze ans qu’il avait fui et cette décision de revenir s’était imposée. Il fallait qu’il fasse la paix avec son père.

Ses trois roses rouges à la main, il retrouva, facilement son chemin dans le cimetière, l’ayant parcouru, dans ses nuits blanches, de si nombreuses fois.











Il passa une longue heure dans le cimetière.

Il résuma à son père les quinze années qui venaient de passer.
Il lui montra même une photo de son fils, Milko, prénom choisi pour perpétuer la tradition familiale. Celle-ci remontait à si longtemps pour ne pas oublier les origines bulgares d’une arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère venue trouver le bonheur dans ce coin reculé de Bretagne.

Il se sentait plus serein.

Il laissa la voiture sur le parking du cimetière et partit à la redécouverte de son village.

Son cœur ne semblait pas avoir changé. Les alentours, il ne reconnaissait rien. Des maisons avaient poussé comme des champignons dans les champs qu’autrefois il avait parcourus en long et en large avec ses trois complices.

Avant de revenir, il avait cherché, trouvé et consulté le site officiel de son village.

Il avait découvert que Grand Pierre, comme il continuait à l’appeler, avait été réélu maire du village aux dernières élections municipales.
Il reconnut la devanture de la boulangerie des parents de Gabrielle et la nouvelle destination de la boutique : « Les Billig et Rozell de Gabrielle ». La crêperie était y chaudement recommandée. Gabrielle pouvait même vous expédier ses spécialités, si on le voulait.
Il découvrit une vidéo où son ami Alain vantait les charmes de la maison d’hôtes « La torche », un clin d’œil certainement au Fantastic Four, dans sa version originale. Il y avait réservé une chambre sous un faux nom, dans l’ancien presbytère devenu lieu de villégiature.

Il avait reconnu le grand arbre, aux branches encore plus enchevêtrées que dans ses souvenirs. Plus de trace de la cabane où ils avaient passé tant d’heures en se promettant de se retrouver un jour, quand ils seraient très grands, comme ils disaient.

Le jour était arrivé, il rentrait au village de son enfance.






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Pour ce vase communicant de mai, je reçois Danielle Masson dont vous pouvez découvrir le site Jetons l'encre à St Maximin la sainte Baume ici. Nous devions parler de nature et puis non. Pour lire mon histoire de chien, c'est par

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François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants: Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.  .

La liste complète des participants aux échanges est établie par Brigitte Célérier
Encore une fois grand merci à elle.













4 commentaires:

32 Octobre a dit…

Merci d'avoir pu échanger.

32 Octobre a dit…

pour lire son histoire de chien, c'est là..... http://jetonslencre.blogspot.fr/2014/05/les-vases-communicants-mai-2014-31.html

Dominique Hasselmann a dit…

retour au pays (souvent c'est la tombe qui appelle), fleurs autres qu'artificielles sur des dalles en marbre.

François Le Niçois a dit…

L'arbre photographié illustre parfaitement la complexité des parcours de vie retracés ici.