La paume - 2
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Un énoncé opaque pourrait être les yeux de Jean Fouquet.
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J'ai le sentiment, confus et certain, qu'il m'appartient désormais d'écrire du texte à partir de ce médaillon, à partir de cette image que je me fais de moi-même. Une intuition persévère au jour le jour selon laquelle ce médaillon serait suffisamment dense pour que j'essaie d'en offrir une traduction en phrases.
Ces phrases seront écrites contre le dictionnaire, tout contre, dans son souffle même, dans son idiote épaisseur, si magique, si lente et butée. Je me souviens quand âgé de vingt-quatre ans j'ai osé demander à mon père de m'offrir un dictionnaire à l'occasion de la naissance du petit Jésus. Il y eut dès lors ces nuits. Je glissais Petit Robert dans mon lit et, l'étreignant contre mon ventre, je m'endormais avec la ferme conviction que les mots infuseraient, imprégneraient ma peau, mon esprit, me livreraient ce savoir auquel j'aspirais sans pour autant être en mesure d'identifier son objet. A quoi peut bien se rapporter un savoir? Aujourd'hui, j'en sais quelque chose, ce sont mes organes vitaux qui m'en persuadent. J'en aurais, selon eux, fait l'expérience.
(Sans doute, cette étreinte du gros livre et de mon corps, était-ce là une première mitose de cet ouvrage dont je ne peux pas m'empêcher d'identifier la fin de la gestation à l'instant-même.)
Les mots avaient si soif de moi. Ils m'espéraient tant. Je leur avais manqué toute ma vie. C'est qu'ils étaient restés bloqués dans la moustache austère d'un père, cette forêt dense qui barrait un visage et, lorsqu'il se décida à s'en défaire, un père, ils avaient dégringolé, eux-aussi, les mots, dans les canalisations de la salle de bains, tout emmêlés de poils moussus détrônés, tout tristes, j'imagine, de ne pouvoir se lover dans mes oreilles désertées, dans mes oreilles assoiffées.
L'idée qui m'incorpore à son emprise croissante a choisi une image.
Il s'agit d'une main. Il s'agit d'une main qui serait un outil avec lequel je pourrais saisir l'image que je me fais de moi-même: mystère dense - sa musique a les rondeurs d'une bayadère orientale; l'énigme est trop bandante pour que je m'occupe de mes affaires.
Il s'agira donc de dérouter. De perdre un chemin après l'autre avant que je puisse en dire qu'il est mien.
Il s'agit d'une main. Il s'agit d'une main qui serait un outil avec lequel je pourrais saisir l'image que je me fais de moi-même: mystère dense - sa musique a les rondeurs d'une bayadère orientale; l'énigme est trop bandante pour que je m'occupe de mes affaires.
Il s'agira donc de dérouter. De perdre un chemin après l'autre avant que je puisse en dire qu'il est mien.
La paume de la main aurait pour corps le médaillon lui-même. Chaque doigt serait une concaténation de textes réunis autour d'un thème ou d'une forme ou des deux. L'image n'ayant pas les limites de son support, la main pourra donc avoir plus de cinq doigts. Il faudra en ce cas inventer des noms digitalement adéquats.
Un récit se profile. Je regarde grandir cela qui vient de derrière l'arbre, de derrière la colline. J'ai beaucoup pris le temps sur ces versants argileux en haute vallée de l'Aude. J'ai fait un cyprès, et puis j'ai fait un genet, et puis j'ai fait un buis aussi - toutes sortes de végétaux à tendance mythologique.
Mais un récit à vrai dire se construit à l'horizon. Et pour une fois l'horizon touche à ma peau. J'observe une contraction de l'espace, et par cette opération le temps dégouline comme le jus d'une orange qu'on presserait pour l'amour de sa vie.
Ce récit donc, ce récit. J'entends: serait-ci - enfin, un visage beau, calme, de désir, taraudé par la finitude et joyeux-inquiet à n'en plus finir. Un visage de Jean Fouquet. Serait-ci le mien, du moins serait-ci l'image que je pourrais, après tout, pourquoi pas, me faire de moi-même.
Mais un récit à vrai dire se construit à l'horizon. Et pour une fois l'horizon touche à ma peau. J'observe une contraction de l'espace, et par cette opération le temps dégouline comme le jus d'une orange qu'on presserait pour l'amour de sa vie.
Ce récit donc, ce récit. J'entends: serait-ci - enfin, un visage beau, calme, de désir, taraudé par la finitude et joyeux-inquiet à n'en plus finir. Un visage de Jean Fouquet. Serait-ci le mien, du moins serait-ci l'image que je pourrais, après tout, pourquoi pas, me faire de moi-même.
Et serait-ci une psychanalyse. Des années à oeuvrer l'incoerrance au hasard des associations, jusqu'à ce que tienne l'incohérence d'un sujet en butte avec sa place dans le monde et le reste.
Alors il y a un enjeu, cela paraît, il y a un enjeu : nouer un lieu à soi dans la génération avec la main d'un livre qui prétendrait saisir l'image que je me fais de moi-même.
Parler sur un divan, parler sur un divan. PARLER SUR UN DIVAN: c'est concevoir, petit à petit, qu'on rate toujours les rendez-vous avec soi-même. Et de ce désastre amoureux entre soi et soi-même, hé bien, en fait, disons que, dans le meilleur des cas, on en tire de la parole, une possibilité de parole de temps à autre, qui vient au fur et à mesure que la bouche parle, et que les organes travaillent dans le secret merveilleux.
Ecrire, Baste!
Ecrire oui.
Soit... Ecrire... ah! : une parole qui vient...
Cela dépend d'un immense travail pour que ce que je dis soit, à la fois, TROUVÉ et CRÉÉ.
Sur le divan, quand je parle, je fais l'expérience que ce que je dis, je le trouve - cela existait avant que je le dise - et je le crée - cela n'existait pas avant que je le dise.
C'est un principe de responsabilité que j'énonce.
Et il en va ainsi du médaillon.
Un style - une manière de répondre de...
Un style - une manière de répondre de...
Ce récit : une traversée pour atteindre un lieu où bien des fois déjà je me suis rendu.
C'est une rive sur laquelle je me tiens debout, et cela suffit. Il y a un endroit dans ma vie où j'en reste-là, à la station debout, et je regarde à droite, à gauche, devant, et cela suffit. En d'autres termes, je m'étonne. Je reste debout, étonné, heureux de m'étonner de ce qui se passe-là. Il y a de l'herbe parce que je trouve que l'herbe est toujours à la hauteur, elle ne me déçoit jamais. Il y a du vent un peu, parce que j'aime me déplacer dans son élan sans avoir à bouger. Il y a des joncs, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu'ils sont la promesse d'un tressage qui ferait sens aussi bien de jour que de nuit?
C'est une rive sur laquelle je me tiens debout, et cela suffit. Il y a un endroit dans ma vie où j'en reste-là, à la station debout, et je regarde à droite, à gauche, devant, et cela suffit. En d'autres termes, je m'étonne. Je reste debout, étonné, heureux de m'étonner de ce qui se passe-là. Il y a de l'herbe parce que je trouve que l'herbe est toujours à la hauteur, elle ne me déçoit jamais. Il y a du vent un peu, parce que j'aime me déplacer dans son élan sans avoir à bouger. Il y a des joncs, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu'ils sont la promesse d'un tressage qui ferait sens aussi bien de jour que de nuit?
Jusqu'à peu, je me suis, à chaque fois, trouvé sur cette rive sans comprendre comment j'en étais arrivé-là. Comment avais-je traversé? Comment avais-je franchi l'abîme?
Ce récit pourrait être cela, cette nouveauté qu' :
Ce récit pourrait être cela, cette nouveauté qu' :
une traversée m'appartiendrait
Quand sur le divan j'ai énoncé le verbe m'appartiendrait, j'ai simultanément ressenti une vive angoisse. J'ai exprimé cette angoisse, je l'ai dite dans le gouffre de la cure. J'ai entendu la voix du psy me demander à quoi pourrait tenir cette angoisse. Et dans le même mouvement de nos psychismes assurément, du gouffre m'est revenu que ma part tiendrait. Ainsi donc:
une traversée, ma part tiendrait
Or, quelques jours plus tard, j'ai noté sur mon carnet, j'ai noté ceci:
le féminin du père est la part
Cet énoncé nocturne, auquel je ne comprends rien, cet énoncé puissamment tourné vers la défection d'un seul sens, je l'adopte, je le fais mien. Il pourrait être les yeux de Jean Fouquet. Ces yeux que la nuit fixe si densément depuis le silence du crâne. Il est question d'un essaim de significations. Il est question d'une tension que nul terme ne viendra apaiser. Ces yeux qui divergent, questionnent la brisure de la phrase sur la vérité qui la soutient, ce vide foudroyant à l'oeuvre dans le regard de Jean Fouquet, dans cet oeil décidé qui me perce, dans cet autre oeil d'un autre, qui verse son attention vers un point mystérieux, hors de toute scène possible:
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