mercredi 12 février 2014

420 - peut(-)être un journal







BRISSEAU Michel, Traité de la cataracte et du glaucome, Paris, Houry, 1709
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une liste de je-ne-sais-quoi - crayeux - en strates - comme des sourcils froncés - sans importance - ce ciel craquelé d'un glaucome en gloire - lourd saurien vautré dans l'altitude - poids ce poids ce poids - qui s'écoule - en masse - mais - les commissures rêvent à l'abri dans ton sourire - amoureux - léger ce on souffre on s'aime - léger si léger - rien n'en vient oui - qu'un gouffre en paix - où bon soigner les plaies - l'écho des guerres - la ficelle c'est - la voix - je-ne-sais-quoi - soi de loin - moi qu'aucun mot n'agrippe longtemps - ne sait - ça s'évide - du puits d'un oeil - vers l'horizon - à contre-jour un soir quand la lumière se couche en brûlant - en passant - par l'amour - sinon


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Ce qu'on dit entre amis, sans y prêter attention, nécessairement, : on bavarde, ce qu'on fabrique, la nuit autour d'un verre, c'est une lisière alentour: au-delà ce n'est plus nous le temps d'un soir. La parole partagée clôture un lieu. Nos morts s'apaisent entre convives, dans ce territoire, on oublie la part du manque.
Mais celui qui longe la limite, celui-ci chante à voix basse, pour se donner du courage, soit qu'il cherche à rejoindre le groupe, soit qu'il s'apprête à plonger dans le monde dehors, soit qu'il explore la lisière, avec l'écriture peut-être. 
Il en est et il n'en est pas. Une verticale le meut. Marionnette sans destin.

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Une solitude prodigue.

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soir - fin des vacances - Noël mord la poussière - enfin - un an pour s'en remettre - sensation d'avoir grandi - malgré tout - mûri - . - les vacances - : comme ça te jette dans les bras des gens que t'as choisis - cette épreuve - rien de plus dur que de côtoyer sans cesse ceux que tu as choisis - d'amour 

on choisit des gens pour des raisons qui le plus souvent nous mettent à mal - l'amour c'est peut-être accepter cela qui va contre soi: qui sauve donc - cela qui répète et différencie dans le même temps 


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adhésivité de ma vie mentale à la série de poèmes en cours d'écriture - trouver ce hors-champ duquel je reviens, tout blanc, saturé d'involonté - penser à faire les courses



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en cas d'havre s'agripper au désir 



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Il y a des jours où l'espace est plus ferme, plus net. C'est dû sans doute à la qualité politique du poème. Le corps, ferme en sa gestuelle, perçoit le lieu dans sa dimension tragique et ordinaire, il voit les choses exprimer l'infondé fondateur qui civilise.



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J'avance d'une même inquiétude que parler. Je cherche des yeux dans le paysage et plus encore, peut-être, quelque chose qui les tienne ouverts parmi les formes diffuses. Pendant que je note, la vitesse du train fixe à la vitre, près de l'épaule, l'amande précise d'un oiseau. ça me rend presque une moitié de visage.

Armand Dupuy, Distances, Pays/paysage, En m'éloignant d'une peinture de Barbara Schroeder, L'inadvertance, publie.net en poésie

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J'étais dans une perversion niaise, dis-je au psychanalyste. Balancer le texte de la masturbation dans le journal. (oui mais je l'ai perdu) (mieux vaut peut-être) (dois l'avoir en disquette) (remettre la main sur le lecteur de disquettes avec cordon USB)



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Le vent s'en fout du temps.



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Oh non! Un crocodile! Regardez! Un crocodile! Je suis autoritaire! Qui peut m'aider? T'es pas autoritaire! Non t'es autoritaire! Tu vas me manger comme un vulgaire bonbon! Ah! Je dois aller là-bas! Mais ils sont où?



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Peut-on pourrir de manière polie et impolie? Le pourrissement est-il un processus ou un personnage qui distribuera une généreuse aumône à mes frères? Et si c'était un personnage, comment le décrire, de quelle couleur le parer dans le récit qu'il me faudra composer un jour? La composition sur une décomposition? Ce calembour vulgaire se défend-il tout seul ou faudra-t-il que je le défende, l'épée à la main?...


Piotr Rawicz, Le sang du ciel, L'imaginaire, Gallimard, p 21



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J'ai arrêté la voiture sur le bas-côté. Pour noter ce pas-grand-chose. Je pense aux autres qui ne savent pas écrire ni lire, aux autres que la guerre détruit, à nous que malmène un monde depuis long malade et délirant. Je pense que résister c'est opposer avec fermeté la plus vive fragilité à ceux qui prétendraient nous enfermer dans un énoncé définitif. 
La fragilité explose tout carcan. Refuser la force. Relire Simone Weil.



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angoisse - ma vêture - nue de toi - le soleil et la nuit - manquent - il faudrait - tu sais - désinventer quoi que ce soit - faire de chaque valeur un vent qui décampe - et je - ou qui que ce soit - il ne reste qu'à tourner - dans le camp - comme une cage vide dans un désert trop grand 



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L'angoisse est une joie qui se cherche. L'angoisse est une joie qui se cherche. L'angoisse est une joie qui se cherche. L'angoisse est une joie qui se cherche. L'angoisse est une joie qui se cherche. 


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"Le désir, c'est l'élan dynamique qui justifie l'écriture, désir d'amour, de connaissance, de devenir dans le temps ce que j'ignore que je suis. [...]

Dans la situation d'écriture, je fais abstraction du monde, de l'histoire des gens. Je m'absorbe dans une relative contemplation. L'essentiel de la position de l'homme d'écriture, c'est être à l'écoute d'une parole intérieure, dont les thèmes sont relatifs, épisodiques. Autour de ce thème, chair du roman, il y a l'intériorité spirituelle, charnelle, que je suis. [...]

Je ne me suis jamais appliqué le mot fureur, pour caractériser l'énergie dont l'écriture procède et qu'elle va concrétiser. Je suis plutôt sur le versant de l'adoration que de la fureur, sur le versant de la fusion, de l'empathie, de la vénération.{...]

Le nouvel amour de Rimbaud sans la révolte."




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Les enfants remplissent ma tête d'eau torrentueuse, de bourrasques humides; c'est la fonte des neiges toute l'année, les enfants, le vernal tonitruant d'heure en heure.



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Dierick Bouts, Portrait d'un homme.



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en écrivant - quelque chose harponne - le corps - et s'ancre - dans le vif - un bien - un précieux - un blanc - une involonté - : radicalement asociale - violemment déliée - : une sorte de source sauvage - érudite à fleur de peau - d'un savoir archéologique - prophétique - dont il faut se - défaire - pour revenir - parmi - les vies - (du temps ordinaire) - et - c'est - arrachement - des bouts de soi - ils restent - accrochés au harpon - abasourdi - je - fais la gueule - on m'en veut - 



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Fascinante voix de Caroline Sagot Duvauroux (écouter chez remue.net). Où l'on mesure combien une parole authentique n'est pas propre, combien elle boite, chute, s'agenouille, se relève, sprinte, hésite, stoppe, s'envole... ; comme on est loin d'une communication réduisant l'acte de parole à la transmission d'une information. Ce dont nous témoigne la poète, c'est d'une parole en train de se créer, à la surface de l'instant, au risque de l'opacité:

  
"...mais c'est de la parole, l'écriture c'est pas de la parole, c'est pas pareil non plus, même s'il y a un appel réel d'oralité même dans ce que j'écris, mais heu, ce qui n'est pas obligatoire en poésie, ce qui est fréquent, mais ce qui n'est pas obligatoire, mm, ça n'existe pas tout à fait chez Mallarmé par exemple, et heu, heu, mais il y a en effet quelque chose de l'ordre de l'ode, du ?, enfin voilà, d'u, d'u, d'une sonorité qui est d'instrument à vent quoi hein, comme le vent est un peu mon outil de syntaxe, heu heu mais heu mais ça n'est pas toujours parfois c'est même le contraire, c'est à dire parfois la parole voudrait tellement, et elle ne peut pas puisqu'elle est plaquée sur la page, qu'el elle rend aphasique, même écrire, non,j, j, j'ai l'impression qu'on passe, moi je passe de, de l'aphasie, directement, heu, au ruissellement je dis les mots paraissent jolis hein comme ça mais bon, ce, cela fait du bien, mais heu, ce c'est plutôt, je décris un peu une mécanique là, enfin, plutôt une pratique, ça ça n'est pas, je n'aime pas ça, j'aimerais que les choses, j'aimerais beaucoup arriver à l'eau et à l'air, mais je, je ne suis pas de cet ordre, ça m'est difficile, je brûle vite et je coule mal, et heu donc il faut, heu c'est dans la butée parfois, que que viennent comme, heu ss, par distraction de moi-même, quelque chose qui va chanter quoi, donc, c'est, c'est une jubilation inquiète, un petit peu hein..."


Ce qu'elle énonce, elle l'écrit en partie je crois ici, p 91 du livre d'El - d'où, chez José Corti :


La phrase pense tout le temps qu'elle tripote le temps, chasse, billebaude, et clébard chèvre ou piqueux, jusqu'à. Connaît ses rotules et ses indicules. Phrase est partout friche et crime des bois, des demeures. Toutes ses balles sont ambiguës. Jusqu'à la distraction qui la saisit. Pour que distraite d'elle et du monde, se pose sur le monde sa convulsion.

Billebauder : en parlant du chien de chasse, quêter au hasard en vue d'attaquer.
Piqueux : homme d'équipage qui s'occupe de la meute au chenil et sert les chiens à la chasse.
Indicule: petit indice.


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Pas de temps à consacrer au médaillon
Noter juste quelques idées : structurer le corps du texte en prenant modèle sur la main, une paume (le médaillon) qui se prolonge en cinq doigts (cinq axes d'écriture selon thème ou bien selon forme (psychanalyse, Jean Fouquet imaginaire, roman histoire de ma disparition, Toto-Macron et Pubère, poèmes)). Il s'agit d'utiliser cette main pour saisir l'image que je me fais de moi-même. Ne pas hésiter à créer une main tchernobylienne, à six, sept ou même huit doigts.

Et avant cela: finir les balises, écrire METEO (hors ligne probablement, je n'arrive pas à inscrire ça sur le net (trop de boulot)). On peut lire un extrait de METEO sur le numéro 25 de la revue N4728 qui vient de sortir.

Et puis défendre "Ma mère est lamentable" auprès de quelques belles maisons.

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Dessin d'oreille, Lequeu Jean Jacques, 1792


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6 commentaires:

Isabelle Pariente-Butterlin a dit…

Vous faîtes du monde et de la vie intérieure et des impressions une mosaïque complexe et colorée. J'aime beaucoup vous lire, et vous suivre dans la recomposition que vous proposez.

Isabelle Pariente-Butterlin a dit…

Vous faîtes du monde et de la vie intérieure et des impressions une mosaïque complexe et colorée. J'aime beaucoup vous lire, et vous suivre dans la recomposition que vous proposez.

Julien Boutonnier a dit…

Merci Isabelle; c'est bien cela oui : une mosaïque - de tessons en abacules, construire une image qui représente un vivre parmi d'autres. C'est un peu se tenir, comme vous, aux bords des mondes, à la lisière, comme on se tiendrait devant une question. Pour ma part, non pas pour tenter d'y répondre, mais pour la caresser, l'adorer, l'honorer... Ne pas reconduire l'erreur d'Oedipe devant la sphinge. En rester à l'énigme, s'y loger.

Dominique Hasselmann a dit…

Les planches anatomiques sont un style d'écriture aussi.

claudia patuzzi a dit…

Merci pour vos mots en équilibre magique entre réalité et - comme vous avez bien marqué - l'énigme qui tremble sous les cendres du nôtre quotidien...

Julien Boutonnier a dit…

@Dominique Hasselmann : Oui, elles ont l'avantage d'être à la fois scientifiques et propres à susciter une méditation, ou du moins une rêverie. Elles délivrent un message précis autant que voilé.

@Claudia Patuzzi: L'énigme est un objet d'adoration qui densifie notre expérience de la réalité.