mardi 29 octobre 2013

391 - peut(-)être un journal






Les oiseaux se chassent pour mourir.






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Cela devient périlleux d'écrire les balises. Lassant. Pénible.
S'accrocher. 
Ne pas rechigner à répéter. A introduire de simple et minime nuance d'une balise à l'autre. Continuer sans trop savoir à quoi bon.
Ce que je crois savoir de cette entreprise :  
Je cherche l'hypnose et l'ennui du lecteur - cet ennui qui creuse, pèse, révèle, ouvre, dont j'ai découvert la puissance, enfant, durant ces après-midi solitaires à regarder la campagne par la fenêtre embuée. 
J'ai un problème avec l'amorce de la balise Ó : être passé à tabac par un kapo – Ecouter l’ambulance s’éloigner – Entendre le vieux me dire que ma mère est lamentable.
Je n'arrive pas à exprimer quoi que ce soit d'un passage à tabac du narrateur en sauvegardant ce regard distancié, incertain, hébété que je lui prête. Il faut que le narrateur reste spectateur, que le passage à tabac concerne quelqu'un d'autre.
La référence directe à ma mère n'est pas possible dans ces balises. Sa présence doit rester en creux, diffuse, non dite : elle occupe la place de ce qui ne peut pas se dire, de ce qui reste sans mots. Le narrateur entendra le vieux parler, sans préciser de quoi il s'agit, il entend, point. 
L'amorce sera donc la suivante : Voir quelqu'un être passé à tabac par un kapo - Ecouter l'ambulance s'éloigner - Entendre le vieux parler     

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GALET intervient comme une récréation, gratuite, ludique, comme une respiration dans cette écriture du deuil et, disons-le, du passage, voire de la délivrance, voire de l'accouchement, qui m'occupe, si laborieusement, depuis plusieurs mois. 
GALET m'amuse, je n'y rencontre d'autre enjeu qu'une expression libre et gratuite - ce motif est sans doute, au final, bien plus précieux que ma construction chimérique autour du deuil... Mais enfin, sans cette bâtisse fastidieuse que je nomme M.E.R.E, peut-être ne serais-je pas arrivé à m'amuser dans GALET? 

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Le voyage à Mazamet est manifestement terminé. Je travaille maintenant à mettre en forme une sorte de récit poétique. J'ajoute des images de la tombe de ma mère, des photos du jeune homme criant dans un micro, des extraits de ce journal, des extraits de règlements administratifs des cimetières. J'étoffe ou je retire, je pousse ou j'amatie. Je mets en ligne le chantier ici pendant quelques jours pour ceux qui seraient intéressés.
C'est un travail qui s'apparente au montage cinématographique : construire une chaîne d'éléments séparés qui puisse signifier, faire signe, au lecteur, selon son bon plaisir.
L'idée reste d'atteindre une forme tragicomique, poignante, où cohabitent un lyrisme pathétique intempestif poussé jusqu'au mauvais goût, des mises à distance brutales de ce pathos (réglements administratifs), l'expression juvénile d'un désespoir authentique, d'une douleur vraie mais fuyante, et puis un humour qui sauve parfois, comme par hasard, et puis une réflexion minimale (via le journal) sur le projet en train de s'écrire... 
Je voudrais que le geste poétique d'invention (de réinvention) de la mort qui m'occupe ici, soit mosaïque, comme je sens que l'est tout rapport quelque peu véritable de l'homme à son objet d'amour.

Je travaille sur un poème, METEO, qui obéit aux mêmes lois de composition, si je peux m'exprimer ainsi pour un travail de prime abord très intuitif. L'objet de METEO est une sorte d'inverse de M.E.R.E, puisqu'il s'agit de mettre en expression la vie amoureuse, la vie à deux, la femme et l'homme dans un rapport de complicité, dans leur travail de lutte contre la mort, contre l'anéantissement du sentiment amoureux. (Au fond, les amoureux ne font rien d'autre que se battre contre l'entropie qui désagrège l'amour - c'est un sens possible de la vie à deux, cette lutte, non?).     

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J'aime beaucoup cette page de Mathieu Brosseau, page 136, de son livre ICI DANS çA:



Deux voix, à nouveau, et l'une semble presque avalée par l'autre.

Ce murmure-là me cache dans l'entredeux, l'entredeux nous ignore, quand l'ignorance me parle (suis-je une bête?) dans un en-deçà de la coquille, perdue sans moi, la perdition est ta condition

juxtaposée

sur le sol             les plantes

l'intelligence du texte, le texte débride la sexualité

j'aimerais avoir à ne pas

là, immobile, le mobile labial de cette trouvaille rappelle le calme d'un soir à recouvrer, d'un calme à retrouver, la fin, cet épuisement,


la coïncidence, la vraie, l'emprise, les deux trous l'un devant l'autre, la cible,

tu armes, cibles et             tires

                  merci


Quelque extraits du Traité des flaques, travail en cours, parcimonieusement :

Je prête aux flaques une sorte de sagesse, un savoir muet, c'est pourquoi je suis toujours étonné qu'elles puissent trouver leur origine dans de telles précipitations.

Les flaques sont toujours bien tombées.

Les flaques sont précaires parce qu'elles se refusent à fluer.  

La boue est une forme d'expression de la flaque du terrain vague, que la flaque des cours de récréation ne peut que lui envier, muselée comme elle l'est par l'indifférence et la dureté du goudron. Mais à celle-ci reviennent les sauts irrésistibles des enfants.

Les flaques ont ce pouvoir d'imposer la plus parfaite horizontalité parmi les aspérités du sol. 

Les flaques ont ceci de puissant qu'elles offrent une image du ciel tout en restant très terre-à-terre.

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Hip-hop qui suinte.

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Hier, après avoir écrit un petit poème sur FB, et tandis que je me glissais sous la couette en prenant garde à ne pas réveiller la femme que j'aime (comme j'adore dire cela : la femme que j'aime), j'ai compris qu'aujourd'hui j'arrivais parfois à écrire comme je hurlais sur scène. Dans une spontanéité réfléchie. Dans une nécessité sans but définissable. Dans une jouissance qui reporte sans cesse la jouissance. Dans une intensité qui troue l'ordinaire.
Et ça me donne envie de pleurer.
Parce qu'enfin je trouve à nouveau, peut-être, une expression qui pourrait être singulière, je veux dire, authentique. Comme si le filtre de ces dix années passées à écrire pour rien avait laissé se déposer quelque chose - actif - qui est d'un rapport mien à l'expression poétique.
J'imagine que je me trompe. Demain, à n'en pas douter, ce que je raconte-là sera suspect, ridicule, pathétique.
Mais aujourd'hui je ris et je pleure.

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le poème est liée à la vie du fond en soi
ce fond en soi qui est autre de soi

qu'on s'éloigne de soi ou qu'on entre en soi
on va toujours vers un autre

c'est pourquoi l'égoïsme du tracassé d'écriture
est en vérité un altruisme

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Il vaut mieux en certain domaine rester à la surface des choses car on y trouve le meilleur. Comme dans le gratin de pâtes par exemple.

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Je connais mieux ce pigeon que Lou Reed.











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