vendredi 24 mai 2013

347 - peut(-)être un journal



Traverser la vie.

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Il y a des jours où je suis devant l'écran comme une mouche devant une vitre. Je bute sur une transparence dure: c'est un désert numérique. Autrui s'en est absenté. Je suis seul avec des mots et des images. 
          - ça me fout le bourdon, murmure-t-il.

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Il y a quelques temps, Emmanuel Delabranche a annoncé qu'il arrêtait son blog à peine perdu(e) (cet arrêt fut momentané, heureusement). Dans son dernier message, il écrivait cela qui m'a intrigué au point que je l'ai contacté par message privé sur Twitter:
je suis curieux: ces mots distants qui ne disent rien _ pourquoi ?
Ce fut le début d'un échange poétique très inattendu et excitant. Nous avons décidé de publier une première étape de ces paroles ici, sur son blog: (manque la photo). Si ça vous intéresse...

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C'est la nuit. Les mots sont dans la courbature. 

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J'écris les premières moutures du Voyage à Mazamet dans le métro le matin. J'aime écrire là, au milieu des gens. Je me rue sur une place assise. Et j'écris comme un fou. J'ai dix minutes devant moi, j'ai une journée de travail devant moi. J'écris comme si j'allais mourir. Je n'ai pas le temps de réfléchir. L'écriture doit jaillir. Mon bureau est un transport en commun. 

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A terme, je voudrais proposer une expérience de lecture qui soit une sorte d'errance sous hypnose. La multiplication, dans chaque balise (12 chaque fois (les quatre lettres de l'acronyme M.E.R.E et les huit chiffres de la date du non-événement de la mort de ma mère 06 04 1991)), des liens  renvoyant à d'autres balises, invitera le lecteur à passer d'un texte à l'autre, sans nécessairement tout lire d'ailleurs, je voudrais même qu'il ne lise pas tout. Dans ces passages répétés d'un poème à l'autre, j'espère que le lecteur se perdra, perdra le fil de ce qu'il lit (ce qui devrait être facilité par la redondance des poèmes et leur obscurité (je veux dire que ces poèmes sont conçus plus comme des noeuds que comme des messages)), entrera dans un état hypnotique, errant d'une balise à l'autre, comme dans un rêve, sans plus savoir ce qu'il fait. Ce serait ça, la traversée du territoire du vide, le partage d'une sidération, d'une non-mémoire, d'un creux, d'une absence, au-delà du sens des mots, lesquels se réduiraient, en quelque sorte, à l'espace physique qu'ils occupent sur l'écran, à leur matérialité vibrante, à leur présence.

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En allant prendre le bus:
La lumière ce matin serre mon coeur. C'est un émoi ravissant qui emporte dans l'ici-même. Je passe le petit pont sur le canal de Brienne. Les reflets sur l'eau constellent l'oubli des morts. Ils chantent en pétrissant l'image du ciel où seul réside l'ici-bas le plus à fleur de peau. Je me suis arrêté. J'écris pour regarder les liens qui trament l'instant et nos chairs de passage. Des plantes arrosent les berges d'oscillantes saisons où frémissent et sourient les oiseaux d'il y a longtemps.

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La culpabilité - celle d'être au monde et de désirer quoi que ce soit en mon nom - a pour moi deux issues : écrire ou bien faire le ménage.

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Après avoir déposé ma fille à la crèche:
Marcher dans l'air doux et la lumière étale reste cette expérience heureuse d'un jour de printemps grisâtre.

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WANTED DEAD OR ALIVE

Attention cet homme est dangereux.
Il monte des meubles 
compulsivement et sans se faire payer.

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Reprise d'ailleurs: 


sur le site Liminaire de Pierre Ménard, qu'est-ce que tu regardes? (série les lignes de désir)


Un accident de lumière. Quand on se promène dans la rue, ce qui attire notre regard est très varié, c’est parfois un regard, un sourire, une attitude qui nous paraît étrange, une démarche qui nous rappelle une autre personne, un souvenir qui remonte à la surface, qui nous transporte ailleurs, très loin de là, à une autre époque de notre vie. Nous marchons d’un pas soutenu, au moment de changer de route, une perspective inédite se développe, nous surprend, nous cueille, un immeuble dont les vitres reflètent la lumière du soleil en nous éblouissant, une silhouette en train de fumer sur le trottoir qui se détache à peine, en clair-obscur, d’un pan de mur lumineux, on avance encore, un peu, un groupe de jeunes femmes attend pour traverser la rue, au passage-piéton, l’une d’elles s’est approchée de son amie, elle pose délicatement sa main au bas de son dos, au creux de ses reins, dans les plis verts de sa tunique légère. Et je me souviens brutalement du sens de l’expression mettre à l’index. 

Photographie de David Salomons


















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2 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

sur la dernière photo : un peu la Vénus de Milo à gauche, en plus habillée (et l'index comme amputé).

Julien Boutonnier a dit…

La lumière grecque? C'est une belle photo de Pierre Ménard.