J'ai choisi ce titre: M.E.R.E. Il serait plus juste de dire que lui m'a choisi et que j'ai dit oui, aussitôt, m'en remettant à une intuition que je devine très savante, qui est soi-disant mienne puisque je l'ai ressentie, mais je n'imagine pas pour autant pouvoir revendiquer quelque chose comme un droit d'auteur sur celle-ci. Ce qui tient à moi, ce qui relève, disons, de ma volonté - j'éprouve une défiance profonde pour cette notion qui suscite chez moi la plus grande des perplexités -, c'est l'acquiescement.
Je suppose donc mon intuition très savante parce que, pour emporter ainsi mon adhésion, dans une immédiateté, son pouvoir de persuasion est immense. A me demander quel est l'objet de ce savoir, il n'apparaît qu'une hypothèse valable: ce savoir d'une intuition si convaincante, ce ne peut être que moi-même. Moi-même, qu'est-ce à dire? Une entité retorse à toute construction systématique de l'esprit? Un corps rebelle à toute stabilisation de son être dans une définition? L'humain ne trouve-t-il pas à se définir, ou plutôt se non-définir, dans le creux d'une impossibilité à se dire définitivement? Après tout, je suis un homme moi aussi, ce sont des humains qui m'ont transmis la vie, et non pas des rats ou que sais-je encore. Et puis je ne sais pas ce que moi-même suis. Mais mon intuition, elle, doit savoir cette lacune nôtre.
Ce titre qui, donc, m'a élu, s'inscrit dans le droit fil du rêve de New-York. M.E.R.E se présente comme un acronyme (incorrect puisque l'usage ne veut pas que l'on insère des points entre les lettres) qui, en tant que tel, est une transposition du cryptogramme écrit par le vieux sur mon bras. Il est une application de la sagesse du rêve: cette écriture à même ma peau, dont les lettres, quoique reliées, quoique ordonnées, sont indépendantes les unes des autres. C'est pourquoi il ne serait pas déraisonnable d'écrire le titre comme ceci:
Il est heureux que l'acronyme M.E.R.E renvoie à une réalité inconnue. Il est comme une porte ouvrant sur un pays vierge. Ce territoire inexploré, c'est simplement ma mémoire. Jusqu'à ce jour, le vocable mère ne m'a jamais porté au souvenir, à la réminiscence d'une image lointaine. Ce mot, quand on l'énonce en ma présence pour désigner, effectivement, ma mère, a toujours provoqué une sensation d'angoisse, une compression de mon torse, une altération de mon souffle. C'est-à-dire que ce lieu précis de la langue, cet assemblage de quatre lettres, n'évoque rien pour moi, il agit directement sur le corps, il frappe ma chair, il la rétreint. J'ai appris à vivre avec ce trou dans ma langue, à me dominer, quand s'enclenche le processus, pour donner le change à mes interlocuteurs, en aucune façon je n'ai aboli le phénomène que, par ailleurs, je n'ai pas vraiment cherché à juguler. Je suppose qu'il est plus souhaitable, en terme d'économie de moyens, de subir ce désagrément somme toute épisodique et relativement bref, que d'affronter le souvenir et son corollaire menaçant, la douleur du manque.
S'il est heureux que l'acronyme M.E.R.E renvoie à une réalité inconnue, c'est donc parce qu'en lui le mot redouté ne me cause plus de souffrance physique, bien au contraire, il m'invite à fouler les arpents d'une mémoire restée en jachère depuis vingt-deux ans. En dissociant les lettres, en les rendant à une forme d'autonomie, c'est comme si le mur infranchissable laissait place à une claire-voie au travers de laquelle il est possible de se faufiler pour renouer avec mon jadis. Là où certains voient au travers d'un miroir, obscurément, je regarde au travers de l'acronyme, non moins obscurément.
Et je découvre l'ombre portée des lettres dans la nuit de ma mémoire. Je les vois flotter dans le sens, libres, sereines, sans attache particulière à une signification donnée. Chacune m'enjoint à me souvenir, par le détour de sa béance, à m'engouffrer dans l'ouverture d'un espace indéterminé, beau à vrai dire, beau à pleurer, un lieu de promesse et de pardon, un endroit où se nouent avenir et passé: quelque chose comme un présent mais aussi comme un rêve.
Comme une mise en oeuvre.
S'il est heureux que l'acronyme M.E.R.E renvoie à une réalité inconnue, c'est donc parce qu'en lui le mot redouté ne me cause plus de souffrance physique, bien au contraire, il m'invite à fouler les arpents d'une mémoire restée en jachère depuis vingt-deux ans. En dissociant les lettres, en les rendant à une forme d'autonomie, c'est comme si le mur infranchissable laissait place à une claire-voie au travers de laquelle il est possible de se faufiler pour renouer avec mon jadis. Là où certains voient au travers d'un miroir, obscurément, je regarde au travers de l'acronyme, non moins obscurément.
Et je découvre l'ombre portée des lettres dans la nuit de ma mémoire. Je les vois flotter dans le sens, libres, sereines, sans attache particulière à une signification donnée. Chacune m'enjoint à me souvenir, par le détour de sa béance, à m'engouffrer dans l'ouverture d'un espace indéterminé, beau à vrai dire, beau à pleurer, un lieu de promesse et de pardon, un endroit où se nouent avenir et passé: quelque chose comme un présent mais aussi comme un rêve.
Comme une mise en oeuvre.
M.E.R.E - jeudi 17 janvier 2013
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