mardi 13 novembre 2012

265 - La brèche



J'ai pris cette photo il y a quelques jours. J'avais trouvé ce bac de congélateur remarquable pour son isolement sur le trottoir et sa saleté de vieille neige urbaine. Il m'avait plu dans sa belle misère crasseuse. Mais je n'avais pas remarqué cette brèche qui le scinde devant. 
J'aime à penser que cette brèche est apparue lorsque j'ai appuyé sur le déclencheur, comme surgissant de la rencontre de ce bac et de mon regard. Cette faille signifierait quelque chose d'une circonstance: un hasard.
Sans cette brèche, aurais-je pensé au hasard? A vrai dire, oui. Environ une heure après avoir pris ce cliché, tandis que je rentrais chez moi sur mon vélo flambant neuf (c'est en allant acheter une bicyclette que je tombai sur l'objet qui nous occupe maintenant), m'a visité l'idée que ce bac était la tombe du hasard. La formule m'a plu, je me suis arrêté et l'ai notée aussitôt dans mon carnet, avec l'espoir d'en tirer un petit texte à la fois plaisant, étrange et sérieux. Cela aurait pu donner ceci : 

Aujourd'hui j'ai trouvé la tombe du hasard. A bien y réfléchir, quoi de plus attendu pour cet hôte illustre de l'Histoire que de finir sa course dans un bac de congélation abandonné sur le pavement? 

Pour autant, le hasard aurait-il pris ce visage de ma rencontre avec l'objet bac? Peut-être pas...
Je cherche un lien entre la brèche, le hasard et mon regard. Ce lien, je le trouve à tout moment dans ma mémoire sous la figure de l'éclair qui déchire les nuages de La tempête de Giorgione.





C'est donc un lien qui a un visage célèbre, ancien, vénitien, essentiellement énigmatique.




J'ai le sentiment, chaque fois que je regarde la reproduction de ce tableau dans le beau livre que par chance je possède, que cet éclair n'en est pas un. J'ai le sentiment d'y voir une brèche, comme si le monde commençait de se lézarder sous la pression d'un mystère qu'il ne parviendrait plus à contenir. La brèche du congélateur, issue de la rencontre de mon regard et du bac, serait le signe d'une même poussée de l'Abîme. Quelque chose aurait cédé, par hasard. J'en aurais été le simple instrument.











La lunette d'approche

2 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

Beau rapprochement, pas si hasardeux que cela : une toile peut parfois (se) déchirer aussi !

Une des dernières revues surréalistes (du temps d'André Breton) s'appelait La Brèche.

Votre vélo, il est de quelle marque ?

Julien Boutonnier a dit…

Mon vélo est banalement de ceux qu'on trouve dans cette enseigne blanche et bleue multisport... Il est blanc, premier prix, sans originalité, mais je l'aime déjà. J'ai toujours été étonné par l'affection que je porte à mes vélos, que par ailleurs je me fais régulièrement volés...
Bien vu pour la toile! Et merci pour la référence de la revue La Brèche.
JB