jeudi 8 novembre 2012

261 - Pour un désoeuvrement.

J'ai rarement le temps d'entreprendre quoi que ce soit. La durée de ma vie est vampirisée par un appel  insistant à consister le moins possible. Il s'agit simplement de tendre vers une existence la plus fantomatique. Cet appel est, je crois, de l'ordre de mon génie. Un génie est lié à soi, il est en soi mais n'est pas soi; il échappe à toute maîtrise mais ne cesse d'interpeller la conscience; il est un autre sans existence propre absolument séparé de celui qui le loge. Mon génie m'invite constamment à laisser la place vide. Il m'exhorte à disparaître. Il semblerait qu'il cherche à m'éduquer.
Car seuls les hommes qui auront goûté à la vie du spectre, ce subtil disparu sans corps, cet être qui n'a plus rien devant soi, pour qui tout est passé, seuls ceux-là seront aptes à insuffler la vie dans un monde spectral. Or l'Occident ne cesse de revendiquer, d'analyser, de mettre en forme, de dénier sa post-modernité, c'est-à-dire sa condition spectrale d'être pour qui rien n'est à venir, pour qui le passé est la substance de son être. 
L'avenir n'appartient pas à ceux  qui se lèvent tôt. Il appartient à ceux qui ont le courage de ne pas se lever du tout, qui, dans la pénombre de leur chambre, enregistrent et révèlent les clichés fondateurs d'une vie nouvelle, porteuse d'un sens nouveau, dans un monde nouveau. Quelque chose comme une vie pleinement désoeuvrée, non pas délaissée, non pas abandonnée, mais sensible à de possibles inédits, promotrice d'actions créatrices qui ne dénient pas que nous vivons dans un monde de fantômes. 
Une sorte de désoeuvrement critique, lucide et enthousiaste.

D'après Giorgio Agamben, De l'utilité et de l'inconvénient de vivre parmi les spectres.


 Quoi qu'il en soit, les joggers joggent: voilà le vrai mystère.









La lunette d'approche


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