lundi 15 octobre 2012

242 - Pour dire la vérité

Je ne désire rien tant que d'être aimé. Pourtant, montrez-moi la moindre affection et je fuis. C'est à désespérer. C'est humain. Combien a-t-il fallu de regards, de paroles, de gestes, pour construire une telle souffrance, une telle incapacité? On pourrait s'amuser à essayer de les dénombrer. On n'y arriverait pas bien entendu. Et même si on y arrivait, ce serait vain, parce que je ne suis pas la somme des faits de mon histoire. Je suis aussi la somme des oublis, des silences et des ratés qui innervent ma généalogie. Je suis le fruit de ce dont personne ne se souvient, de ce que personne n'a dit, de ce que personne n'a vécu. En cela, je me sens bien plus proche des gens qui n'ont jamais existé que de ceux qui habitent aujourd'hui le monde. A vrai dire, je me sens bien plus loin de moi-même que d'un type qui n'a pas vu le jour il y a des milliers d'année, en Assyrie par exemple. Vivre n'a rien de pérenne. Seuls durent ceux qui n'ont jamais vu le jour. Eux hantent les esprits, les font et les défont à leur guise; eux gouvernent le monde et décident du sort de l'humanité; eux travaillent à long terme, ne négligeant rien, orientant nos vies selon leurs caprices, infiniment supérieurs à nous parce qu'eux, contrairement à nous, n'ont jamais cessé de ne pas exister. 
Par quelle négligence me suis-je laissé aller à naître? Voilà la question qui me tourmente, m'ôte le sommeil et m'empêche de profiter un tant soit peu des petits plaisirs de la vie que par ailleurs j'abhorre. Je conçois que  cela puisse paraître pour le moins paradoxal que je cherche ce que je déteste. Mais, voyez-vous, je suis curieux. Je ne laisse pas de m'étonner de ces personnes qui ont ce talent de goûter à l'existence par les menus assouvissements qu'elle propose à qui sait les saisir, comme croquer une pomme, caresser une pierre chaude de soleil ou encore contempler un champ de tulipes.
En fait, pour dire la vérité, il y a une chose que j'apprécie, c'est regarder une vache dans les yeux. J'y trouve ce néant que je convoite et appelle de mes voeux. Dans les yeux d'une vache se manifestent les inexistants. Dans les yeux de Marguerite les fonds sans vie des vivants se laissent entrevoir. Ah! Se perdre dans le regard vide d'un bovin, y a-t-il expérience plus pertinente de l'intelligence de ce qui n'existe pas? Seuls les fous de vie, les conquérants du jour, les poètes de la présence peuvent dénigrer le beau regard de Marguerite.
Mais sont-ils nombreux ceux qui comprennent quelque chose au désir? A cette atteinte de la puissance qui le conditionne?



Quoi qu'il en soit, les joggers joggent: voilà la véritable énigme...









La lunette d'approche   

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