mardi 28 août 2012

194 - Le mystère d'être là

Il y a des jours, quand sans raison apparente les heures passent dans ma chair, quand je constate, impuissant, que je rate ma vie, que je m'occupe à des choses qui me détournent de mon désir, des choses que je n'ai pas choisies, que je n'ai pas choisies de subir et de supporter, que je n'ai pas choisies d'entreprendre, il y a des jours où vivre pourrait sembler une habitude un peu creuse, une habitude un peu vaine, une sorte d'hallucination froide, un somnambulisme sans recours, c'est alors qu'il est nécessaire de se rappeler qu'un temps jadis je n'existais pas, que l'espace de la Terre consistait sans moi, sans l'épaisseur de mon corps, sans l'odeur de mes pieds, qu'un temps à venir me verra pourrir sous terre et fusionner peu à peu avec les matières organiques du sol, ou vaguer en cendres légères dans les vents, disséminé dans la houle, dans les rivières et les estuaires, et que plus tard encore, bien plus tard, rien, absolument rien, ne portera la trace de mes travaux, de mes projets, de mes enthousiasmes, mais souvent cela ne suffit pas, la pensée de la brièveté et de la vanité de l'existence ne suffit pas, vivre pourrait demeurer cette habitude un peu creuse, cette habitude un peu vaine, cette sorte d'hallucination froide, ce somnambulisme sans recours, alors pour tromper cette sournoise illusion, il y faut un acquiescement, pour s'extraire de cette chimère lancinante, il y faut un tout petit geste de la volonté, au combien douloureux, au combien courageux, un petit oui qui paraît impossible à ma conscience, un petit oui qui m'effraie tant que je refuse de m'y résoudre : oui à ce pas grand chose que paraît ma vie certain jour, oui à cet ennui, oui à ce jour sans attraits, et dès lors, sans que je puisse me l'expliquer, c'est un sourire qui prend ma bouche et la retourne, c'est la joie dans l'instant qui me meut, c'est le mystère d'être là, le mystère d'être là qui m'accueille, blessant, honorant, ponctuant.




La lunette d'approche

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