vendredi 24 août 2012

192

J'ai revu l'homme à l'horodateur. Il se tenait debout sous les platanes des contre-allées, immobile sur une place de parking. Sa tête pivotait lentement. Il caressait sa barbe encore, avec les doigts de la main droite. A un moment, il a fléchi les genoux, très doucement, comme s'il skiait au ralenti. Il est resté comme ça, les yeux tournés vers les ombres et les lumières vibrant sous les feuillages des arbres. Puis il a décollé, sans un bruit, sans un geste, il s'est envolé et a disparu derrière les toits. 




Après, Joseph est rentré chez lui. Clarisse donnait le bain à Sarah. Il s'est assis dans un fauteuil. Ses mains tremblaient. Moi je ne me souviens pas bien mais je crois que j'ai commencé à douter. Joseph s'est dirigé vers les étagères de livres. Il a pris un gros volume sur Giorgione.




Sous les arbres, à gauche, dans la roche, il y a un visage affreux. Un oiseau inquiétant sort de l'eau en bas du tableau. Joseph a ressenti des picotements dans les doigts. Je suis allé fumer une cigarette derrière. Je n'étais pas tranquille. J'avais peur de me trouver à Utoya peu de temps avant que Breivik ne débarque. 




- Qu'est-ce que tu fais? a demandé Clarisse. Sarah dans ses bras était enroulée dans une serviette.
- Rien... Je me repose. 
- Tu peux préparer à manger?
- Ouais, des pâtes? 


  

Quant à moi, je n'ai jamais cessé de me fondre dans les interstices. Dans les hiatus. Dans les nuits des raisons. J'y observe, tapi dans ma peau morte, j'y observe les choses de la vie, les démarches hagardes des humains à jamais inconsolables. 




Julien Boutonnier

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