mercredi 22 août 2012

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J'ai eu hier le projet d'écrire un Traité des flaques. Je voulais écrire un texte sur ce moment où une jeune femme gracieuse saute par dessus une flaque, sur cet instant de légèreté absolue. J'aurais voulu décrire le ravissement de la flaque. 
Et les jeux des enfants dans ces eaux provisoires, dans ces épaves d'averses, dans ces eaux chues. Et les gerbes, les girandes brèves et profuses quand les voitures les fendent. 

Des flaques, 
j'aime comme elles font feu de la moindre dépression, j'aime leur générosité spontanée et irréfléchie: cette façon de s'étendre sans vergogne sur l'asphalte, sur le chemin de campagne, dans le caniveau, dans le nid de poule, 
et de disparaître au soleil aussitôt, de s'élever en silence, de s'abstraire du poids en toute discrétion. 




Et j'aime l'immensité des éthers et des ciels dont elles logent l'image.

J'y vois un monde dont j'ai plus de facilité à me raconter qu'il est le mien. Je me trouve mieux dans les reflets des flaques que dans les reliefs et les profondeurs de l'espace. J'ai une affinité en deux dimensions. Et puis je marche en regardant par terre. C'est une manie d'adolescent triste dont je n'ai pas su me défaire. 




Certains jours de la mue, j'ai cru de plus avoir d'avenir. J'ai préféré regardé mes pieds que l'horizon. J'avais peur des lointains, j'avais peur des demains. J'étais pressé d'être vieux, pressé d'avoir vécu. 

Que de désirer il ne soit plus question. Que de mourir il ne faille plus qu'attendre. 



J'avais peur d'être un enfant, de renaître à nouveau, de jouer. 
J'avais peur d'avoir une raison de vivre.  
Cela engage, une raison de vivre. 

Je pense à Joseph. Il a su, lui, être amant, devenir père, devenir psychanalyste. Et moi? Qu'ai-je su faire, être, devenir? Je n'ai pas su même lever la tête. 

J'écris des flaques qui s'évaporent au petit matin.



Je regarde les flaques qui s'envolent et s'échappent. 
Je perds le fil des mots dans le jour naissant.
Je disparais dans le réveil.
Joseph émerge, il se lève et s'occupe des choses de la belle vie. 
Aimer sa femme, sa fille, défendre une raison de vivre.


Julien Boutonnier






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