jeudi 19 juillet 2012

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Quand il était enfant, il arrivait que Joseph se réveille avec le pressentiment d'une imminence. C'était comme si le jour qui commençait devait voir arriver un évènement incomparable qui changerait la vie. Joseph se sentait heureux de loger en lui une telle intuition, bien qu'il aurait été incapable de la nommer précisément. Au cours des heures qui suivaient, peu à peu, ce sentiment se défaisait au profit des jeux, des rencontres et des différentes émotions de la journée, jusqu'à ce qu'il l'oublie simplement. Cela ne l'attristait pas, il n'en concevait aucune déception car il ne s'en rendait pas compte. 
Devenu adulte, Joseph aura le talent de se souvenir de ces matins-là de son enfance où un simple pressentiment l'enjouait, sans fondement objectif, au sortir des rêves. Il éprouvera une ardente nostalgie de cet enfant que si peu comblait et dont le génie ne faisait aucun cas de la disparition de l'objet de son contentement.
- Moins on est profond, mieux on est comblé... pensera-t-il, c'est cela l'état de pauvreté biblique, le souhait du dieu pour l'homme. Une conscience pauvre n'est pas démunie, elle est aisément assouvie par de petits riens: une lumière, un chant de mère, la chaleur d'une pierre au crépuscule, le silence d'une neige récente... Le sage cherchera cela, cette simplicité, cette surface de soi à peine incurvée où viendront se loger, l'un après l'autre, les instants d'une vie pleinement sensuelle. 
Il ajoutera en souriant: - Mais moi je ne suis pas sage... et se replongera dans la lecture de W.G Sebald.
Sans doute tiendra-t-il trop au sentiment de sa nostalgie pour épouser les voies de la sagesse.

Julien Boutonnier

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