mercredi 20 juin 2012

152

Jérôme Burau, sur le divan. La séance commence par un long silence.
- Je me rends compte que je ne sais pas parler... 
Sa voix tremble... Silence...
- Ce week-end, j'ai trouvé un livre de Charles Juliet au marché. Lambeaux, ça s'appelle... Je l'ai dévoré en quelques heures... Il y a une phrase dans ce texte... elle m'a tellement parlé.. Ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissants dans leur gorge... 
Silence...
- Ceux et celles qui s'acharnent à se punir de n'avoir jamais été aimés... il y a ces mots-là... 
Silence...
- Charles Juliet s'est sauvé en écrivant... C'est ce qu'il dit en tout cas... Et moi... peut-être que je pourrais trouver une voix, je veux dire, une parole, en écrivant? Peut-être que je pourrais me sauver moi aussi? 
Silence...
- Je n'ai pas le choix. Il faut que je me libère de l'emprise de mes parents si je veux vivre, tout simplement vivre. Avoir une parole en mon nom. Avoir un désir en mon nom. Je n'ai jamais vécu selon mon désir. J'ai toujours été subordonné à la folie de mes parents. Comme si vivre selon mon envie aurait pu les détruire. Comme si penser à moi et non à eux aurait pu les tuer... Je me souviens quand j'étais môme, je portais un verre de lait à ma mère dans sa chambre, le soir, avant d'aller au lit... Tous les soirs, pendant des années, j'ai fait ça... J'étais comme sa mère! Je me suis occupé de ma mère comme une mère... En attendant, je ne me suis pas construit. J'ai oublié d'être un enfant. Je ne comprends pas quand des gens disent regretter leur enfance. Moi, mon enfance, ça a été une prison, un enfer, une suite d'obligations et de silences oppressants... des peurs, de l'ennui... une violence rentrée, qui n'explose jamais, mais qui te ronge les tripes et t'épuise... 
Bref silence...
- J'ai 27 ans et je ne sais pas qui je suis...  
Il soupire.
- Quand je vais chez mes parents je porte encore un verre de lait à ma mère. 
Il éclate en sanglots.
- Je le pose sur sa table de nuit. Elle ne me regarde même pas...
Il hoquette.
- Je n'ai pas d'âge. Je n'ai jamais vécu. 
- Vous n'avez jamais vécu... A vendredi? demande Joseph en se levant.
- Oui, à vendredi, répond Jérôme Burau en se levant à son tour. 
Ce jour-là, il oublie de payer et pleure longtemps sur le banc d'un parc avant de rentrer chez lui.

Julien Boutonnier

Aucun commentaire: