La bouche de Joseph est gloutonne. Elle ne prend pas le temps de mâcher les aliments ni de les goûter. Au moment de l'amour, elle dévore avec une telle avidité que Clarisse a pu s'en plaindre.
Souvent les doigts rodent sur les lèvres, glissent, tapotent, tirent, pincent... stimulent. Il arrive fréquemment que les dents en grignotent les ongles dont les copeaux sont ensuite discrètement entreposés dans les poches du pantalon. Joseph juge plutôt mal cette pratique mais n'essaie pas de l'éviter.
La langue aime à pousser contre les dents de devant, pour sentir leur forme, jauger les interstices, apprécier les dépôts de tartre; quand un morceau de viande filandreuse, du porc la plupart du temps, est fiché entre une canine et une prémolaire, elle n'a de cesse de la faire sauter, quitte à s'adjoindre l'aide d'un index, voire d'un cure-dent et, en dernier recours, d'un fil dentaire.
Une halitose empeste parfois, que Joseph traite avec des bains, matin et soir, sans savoir exactement à quoi elle est due. Il est probable qu'elle tienne à des maux gastriques ou à des restes de nourriture que la brosse à dents, pourtant électrique, ne parvient pas à déloger. Mais cela passe assez rapidement.
Quand Joseph a particulièrement bien parlé, ou bien travaillé, quand il est en paix, sa salive prend une saveur extraordinairement douce et agréable. Il a l'impression que son sentiment se traduit par ce goût dans sa bouche. Il n'a jamais pu trancher si cette sensation était une lubie de son esprit ou le résultat d'une obscure et réelle chimie de son organisme.
Julien Boutonnier
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