jeudi 24 mai 2012

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Peu après qu'ils ont aménagé ensemble dans un appartement du quartier de la vieille ville, Joseph a montré tous les signes de la dépression. Il s'était engagé auprès de Clarisse sans y réfléchir:
- Je veux vivre avec toi, je t'aime, je ne peux plus vivre sans toi... lui avait-il répété.
Si son sentiment était sincère, les capacités à l'incarner dans le partage du quotidien lui manquaient. Cela, il ne l'avait pas mesuré, il ne pouvait pas le mesurer, faute de précédent. C'était la première fois qu'il vivait avec quelqu'un qu'il avait choisi par amour. Et puis la lucidité lui manquait en toutes choses tant il avait tendance à se surestimer. 
Les premiers jours de leur vie commune furent idylliques. On se portait le petit déjeuner au lit. On se câlinait tant et plus. On se déclarait sa flamme d'une pièce à l'autre de l'appartement, en criant, en riant. On cuisinait ensemble. On se lavait ensemble. On se promenait nus, sans pudeur. On s'aimait dans l'esprit, on s'aimait dans le corps, on s'aimait d'un sentiment qui paraissait aussi naturel et pérenne que le bleu du ciel ou le murmure du ruisseau. Et tout semblait devoir continuer ainsi, à jamais, en Eden retrouvé.
Clarisse parfois comprenait que cela ne durerait pas. Elle était plus aguerrie que son amoureux - elle avait aimé déjà - dont elle connaissait les failles, celles-là mêmes qui l'avaient attirée vers lui. Mais elle a préféré taire son intuition, ne pas briser la magie de ces moments délicieux pour s'y lover, pour jouir de l'amour fou, avec courage, laissant sa raison de côté, se saisissant de la moindre opportunité de jouissance, repoussant de toutes ses forces la perspective de la souffrance et des déchirements à venir.
Maintenant qu'elle était avec Joseph, maintenant qu'elle le voyait croire à l'éternité de leur amour, se vouer à elle corps et âme, l'adorer comme un chevalier courtois, lui promettre la tendresse, la fougue et la fidélité pour toujours, maintenant, se brûler dans la passion lui semblait la seule entreprise possible, la seule souhaitable.
Cependant on ne choisit pas la passion, on la subit, et toujours Clarisse ressentait une distance, plus ou moins grande selon les moments, qui la tenait éloignée du feu. 

Julien Boutonnier
      

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